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Sur la piste des fous du volant

Jacques Bergeron mène une série d'études sur l'agressivité en auto.

Éric Labbé, étudiant au baccalauréat en psychologie, a pris place dans le simulateur de conduite avec lequel on analysera la conduite de près de 300 sujets. On aperçoit près de Jacques Bergeron un polygraphe, qui enregistrera la réponse électrodermale, le taux de testostérone et le taux de cortisol des conducteurs. Cet appareil est mieux connu pour sa prétention à détecter les mensonges.

Selon la Société de l'assurance automobile du Québec, la vitesse est la première cause d'accidents dans 23% des décès et 19% des blessures graves. Chaque année, elle est à l'origine de 200 décès et de 6000 blessures. Il s'agit de la deuxième cause importante d'accidents, tout de suite après l'alcool au volant.

Qui sont les conducteurs qui affectionnent tant la conduite dangereuse? C'est ce que tenteront d'apprendre au cours de la prochaine année le psychologue Jacques Bergeron et son équipe. Quelque 300 personnes se succéderont dans l'un des trois simulateurs de conduite de leur laboratoire et répondront à une série de questionnaires rigoureux sur leurs caractère, comportements et motivations quand elles ont un volant entre les mains.

"Certaines personnes deviennent anxieuses lorsqu'elles conduisent. D'autres voient leur agressivité augmenter. Aux États-Unis, on nomme ce phénomène le road rage."

Le cas typique, c'est celui du conducteur qui, furieux de s'être fait couper sur la route ou de s'être fait voler sa place de stationnement, assassine l'auteur du geste à coups de barre de fer. De tels actes qui passaient autrefois pour des batailles de rue sont-ils attribuables à la conduite automobile? Sont-ils prévisibles? pathologiques? Existe-t-il une surenchère médiatique de ces gestes? C'est ce que les chercheurs tenteront de découvrir.

"L'agressivité au volant est un phénomène complexe, explique le professeur Bergeron, dont les travaux se déroulent au Centre de recherche sur les transports. Dans leur auto, les gens sont comme dans une bulle, et cette position diminue en quelque sorte leurs inhibitions."

En attendant le feu vert, l'automobiliste dévisage sans vergogne les piétons qui attendent l'autobus, se parle à lui-même ou encore termine sa toilette matinale sans aucune pudeur; des comportements qu'il ne se permettrait jamais s'il se trouvait dans un endroit public. Mais ce sont des gestes sans conséquence. Il en va autrement de l'agressivité au volant.

"Si l'on accepte le principe voulant que la socialisation permet de transformer l'agressivité en comportements mieux adaptés à la vie en société, le fait de voir surgir cette agressivité primaire au moment où l'on conduit un véhicule automobile est très préoccupant. Notre recherche tentera de percer ce mystère en analysant les motivations biologiques, sociales et psychologiques des conducteurs les plus à risque."

Les conducteurs dangereux en examen
Certaines personnes pacifiques deviennent de véritables cow-boys lorsqu'elles manipulent un volant. Mais on soupçonne que le comportement des individus déjà agressifs est exacerbé dans cette position. Les chercheurs ont donc voulu établir un échantillon de personnes qui répondent au profil de l'adepte de la vitesse et de la conduite dangereuse. Celui-ci est jeune, de sexe masculin, il affectionne le risque et a une certaine propension à la déviance.

Cet échantillon existe. Collègue de Jacques Bergeron et directeur du Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant, Richard Tremblay suit depuis plus de 15 ans une cohorte de 1000 garçons issus de milieux défavorisés (voir Forum, le 27 septembre 1999, p. 1). Grâce à deux rencontres annuelles, il a accumulé une documentation considérable sur l'évolution psychologique et sociale de ces enfants devenus grands (certains sont aujour-d'hui des criminels notoires). En 1994, l'équipe du Centre de recherche sur les transports a pu sélectionner quelque 200 adolescents dans cette cohorte afin de leur faire subir la première étape d'un test sans précédent.

"Nous voulions connaître leur façon de réagir en situation de conduite, même si aucun n'avait son permis. Les sujets ont pris place dans le simulateur et nous les avons mis dans certaines situations de conduite. Nous avons ensuite noté leurs attitudes potentiellement dangereuses: dépassements risqués, infractions, accidents, respect des arrêts et des feux de circulation, etc."

Durant les prochaines semaines, ces mêmes jeunes hommes reviendront dans le simulateur pour la deuxième étape du test. Cette fois, il s'agira de voir lesquels auront gardé une conduite agressive et lesquels auront adopté une attitude plus conciliante.

Voulant éviter d'induire un biais dans l'expérience, M. Bergeron ne veut pas rendre publiques ses hypothèses. Mais il concède qu'il s'attend à trouver un taux supérieur d'agressivité au volant dans cet échantillon.

Le "simulateur ivre"
Jacques Bergeron tient à souligner le travail de deux de ses collaborateurs, Pierre Thiffault et Martin Paquette, étudiants au doctorat, qui l'accompagnent depuis plusieurs années.

Il signale que ses travaux sur les simulateurs de conduite ont débuté il y a plus de 15 ans. Dans son laboratoire, il n'y avait à cette époque qu'un écran devant lequel le sujet s'installait. Aujourd'hui, les simulateurs sont fabriqués avec de vraies voitures (une Honda, une Tracker et une Lumina, toutes de couleur rouge) qui donnent réellement l'illusion d'être sur la route. L'un d'eux est un simulateur "portable" qui sera bientôt en démonstration dans des centres commerciaux afin de se rapprocher des sujets. "Certains sujets peu familiarisés avec l'université refusent de s'y rendre. Cela influe sur nos résultats."

L'un des tests les plus originaux effectués dans ces simulateurs consiste à mettre entre les mains d'un conducteur en pleine possession de ses moyens le parcours erratique d'un conducteur ivre, dont la conduite a été enregistrée en mémoire. Le sujet doit alors tenter de corriger ses maladresses. "L'idée de ce que nous appelons le 'simulateur ivre' est de montrer comment les réflexes et le jugement peuvent être altérés sous l'effet de l'alcool."

À l'origine, trois sujets ont bu du gin jusqu'à ce que leur taux d'alcool atteigne 0,12 (la limite permise est de 0,08). Puis, ils ont pris place dans le simulateur, où ils ont conduit tant bien que mal pendant une heure.

Après l'expérience, les chercheurs les ont raccompagnés chez eux. C'était ça ou appeler Nez rouge.

Mathieu-Robert Sauvé


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