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Les Évangiles: conte, fable ou légende?

Olivette Genest tente de préciser le statut littéraire des écrits des quatre apôtres.

Olivette Genest étudie depuis une vingtaine d'années le sens de la mort de Jésus à travers les écrits du Nouveau Testament.

Les Évangiles ne sont pas simplement des récits. Alors que sont-ils d'autre? Voilà le point de départ d'une recherche d'envergure à laquelle participe Olivette Genest, professeure à la Faculté de théologie de l'Université de Montréal.

En 1994, grâce à une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, Mme Genest entreprend une recherche sur le statut littéraire des quatre Évangiles, c'est-à-dire les écrits des apôtres Matthieu, Marc, Luc et Jean. Elle est entourée de Jean Delorme et Louis Panier, deux sommités internationales en théologie, respectivement professeur à l'Université catholique de Lyon et directeur du Département de linguistique de l'Université Lumière de Lyon. Le troisième chercheur est Jacques Pierre, spécialiste des sciences religieuses et professeur à l'Université du Québec à Montréal. Le projet, qui devait durer trois ans, a été prolongé jusqu'à la fin de la présente année.

Mme Genest étudie depuis une vingtaine d'années le sens de la mort de Jésus à travers les écrits du Nouveau Testament. Elle en a fait le sujet de sa thèse de doctorat au début des années 1970. Selon elle, la disparition du Christ remonte autour de l'an 30. Les premiers textes sur sa vie ont été écrits quelque 20 ans plus tard et les Évangiles, à partir des années 60. C'est en s'interrogeant sur les derniers moments de la vie de Jésus que la spécialiste a été amenée à réfléchir sur le sens intrinsèque de ces textes. Elle estime qu'on y compte beaucoup plus de métaphores que de symboles. Et l'exégèse consiste à faire l'interprétation de ces textes sacrés.

"Notre étude vise à mieux éclairer les écrits afin de mieux les lire, signale Mme Genest. Ce sont des livres dont vivaient et vivent tous ceux qui ont créé le christianisme et le corpus du Nouveau Testament. L'Église le présente comme une règle de vie et une position de croyance."

La sémiotique comme outil de travail
L'équipe de recherche a eu recours à la sémiotique littéraire - la théorie des signes et leur articulation dans la pensée - pour mener ses recherches, un angle d'étude qui ouvre de larges horizons. Les professeurs Delorme et Panier ont introduit dans les études bibliques l'usage de la sémiotique, laquelle est liée au développement du structuralisme. Mme Genest souligne que l'apport de la sémiotique a heurté au départ certains esprits bien-pensants. "Cela n'a pas été facile. C'est comme si l'on amenait des études païennes dans le champ des études sacrées", précise-t-elle.

Pour la théologienne, la sémiotique facilite l'interprétation en donnant un sens aux parties du texte. "Cette méthode distingue ce que le récit raconte de ce qu'il dit. Dans les récits, on ne voit pas toujours l'enseignement. En fait, que veut dire le récit? Dans les Évangiles, le miracle n'est pas fait pour accroître la popularité de Jésus ou montrer comment il était puissant, mais plutôt pour forcer la réflexion qui débouche sur un enseignement. Matthieu, Marc, Luc et Jean n'ont créé ni les formes ni le contenu. L'ensemble constitue plutôt une collection de traditions orales."

La vie de Jésus a été au coeur de nombreuses oeuvres musicales et cinématographiques, qu'il s'agisse du spectacle Jésus-Christ superstar ou du film Jésus de Nazareth. Mais de l'avis de la théologienne, certains auteurs, tel Denys Arcand avec son film Jésus de Montréal, ont osé aller plus loin que le simple récit de la vie de Jésus. "Il a appliqué les écrits des Évangiles dans la vie des personnages. Il donne donc sa propre lecture et sa propre interprétation. Il l'a fait de façon symbolique, mais elle est parfaitement légitime et spécialement bien réussie", juge Mme Genest.

Les Évangiles dans leur globalité
Dans sa recherche et par le biais de la sémiotique, Olivette Genest indique qu'elle peut étudier les Évangiles, "une mosaïque de traditions différentes", comme un tout. "Je ne classifie pas. Je travaille plutôt dans un contexte global, de même qu'on prend un roman pour l'analyser comme un tout. Mais il y a des surprises à tous les tournants."

Au fil de l'étude, elle remarque que la dimension narrative est modifiée en profondeur par un aspect figuratif et parabolique. "Le miracle est très clair, mais sur quelle réflexion débouche-t-il? Ce n'est pas toujours facile à comprendre. Les Évangiles ne sont pas des biographies de Jésus ni seulement des récits religieux. Les textes parlent de la même personne, Jésus, mais selon quatre facettes différentes et selon la vision du rédacteur."

Conte, fable, légende ou mythe? Olivette Genest considère qu'on ne peut plus qualifier les Évangiles comme tels, puisque le courant critique du 19e siècle a secoué ces hypothèses. Mais elle n'est pas encore prête à faire connaître sa position sur la question. "Les textes offrent des récits ponctués d'aspects mythiques présentant une vision du monde, une forme de salut en Jésus-Christ particulière en soi et qui est mise sous nos yeux avec une proposition d'adhésion. Le problème, c'est que le fait de croire ne porte pas sur les éléments mythiques."

Pour elle, l'étude des Évangiles est d'autant plus passionnante que ces écrits ont joué un rôle fondamental dans l'histoire de la civilisation. "Pourquoi cela a-t-il bien réussi pendant 20 siècles? Aucun récit vécu n'a égalé cette portée. Mais les Évangiles ont aussi un aspect faussement familier, au point où ils sont entrés dans la langue. C'est dangereux parce qu'on croit qu'on sait tout et l'on banalise. Il n'est pas si sûr qu'il s'agisse de récits", conclut-elle.

Marie-Josée Boucher
Collaboration spéciale


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