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Canadian et Air Canada: le pire est à venir

Le retrait d'Onex n'a rien réglé, estiment deux économistes.

Les économistes Rodrigue Tremblay et Marc Gaudry ont présenté les grands enjeux de l'industrie aérienne au Canada à l'invitation de l'Association des étudiants en sciences économiques.

"La liaison Yellowknife-Tuktalaaktuk n'intéresse aucunement American ou Delta Airlines. Ce sont les routes internationales, valant des dizaines de millions de dollars, qui suscitent la convoitise des compagnies aériennes étrangères."

Ainsi Marc Gaudry, professeur de sciences économiques et spécialiste réputé du transport commercial, résume-t-il le problème auquel fait face le gouvernement fédéral, aux prises avec deux compagnies aériennes en mauvaise santé. Celui-ci doit décider sous peu de la destinée de Canadian Airlines, qui perd actuellement un demi-million de dollars par jour et qui a une dette accumulée de 3,5 milliards.

"C'est un problème d'économie, mais surtout de politique", renchérit son collègue Rodrigue Tremblay, selon qui le marché canadien est en train de devenir un appendice de celui des États-Unis. Le vrai patron de Canadian Airlines n'est-il pas déjà American Airlines, qui en possède 33% des parts? "[Le premier ministre] Jean Chrétien ne devrait pas être au Sénégal ce matin. Il devrait être à Ottawa et prendre ses responsabilités. Il doit régler ce problème, qui pourrit depuis 20 ans."

Donnant suite à l'invitation de la responsable académique de l'Association des étudiants en sciences économiques, Sophie Rochon, les deux économistes ont présenté un exposé de la situation apparemment inextricable dans laquelle se trouve l'industrie aérienne canadienne. Il s'agissait moins d'un débat que d'une présentation à deux voix, les économistes se rejoignant sur l'essentiel. La conférence a eu lieu le 9 novembre, trois jours après qu'Onex eut renoncé à acheter Air Canada. Un élément négligeable aux yeux des conférenciers, si l'on considère que la saga s'enlise depuis la déréglementation du secteur, survenue en 1979.

"Canadian Airlines risque la faillite depuis plusieurs années, mais ce risque pourrait bien s'intensifier d'ici les prochains jours", a mis en garde M. Tremblay. Que fera alors le gouvernement fédéral? Il paiera certainement la facture politique des 16 000 emplois perdus principalement dans l'ouest du pays. Mais il devra surtout gérer le plus précieux atout de la compagnie: ses routes aériennes internationales. Parmi les possibilités: la mise aux enchères pure et simple...

Des routes rentables
Pour bien faire comprendre les enjeux, Marc Gaudry, qui a siégé à la Commission royale sur le transport des voyageurs au Canada de 1989 à 1992 et qui a fondé le Centre de recherche sur les transports, rappelle que les voyages intercontinentaux font l'objet d'ententes entre les pays. À ce jour, plus de 2000 traités bilatéraux ont été signés. Le Japon, par exemple, accorde un certain nombre de liaisons vers Tokyo au Canada, puis à la France, aux États-Unis, etc.

Alors que l'Irlande, l'Australie, la Suède et d'autres pays de taille comparable n'ont qu'un transporteur national, le Canada s'est obstiné à permettre la cohabitation de deux grosses compagnies. Cette stratégie accule Canadian à la faillite et pourrait même précipiter la fin d'Air Canada dans un avenir rapproché. "Imaginez que le Canada soit vendu aux États-Unis comme l'ont été la Louisiane ou l'Alaska. Y aurait-il des compagnies aériennes majeures au nord de Chicago? Non. Montréal, Toronto et Vancouver ne seraient que des pointes des grands réseaux américains", dit M. Gaudry.

Ce qui a empêché les grandes villes canadiennes de devenir de tels comptoirs satellites, c'est le fait que le Traité de libre-échange nord-américain exclut le secteur aérien de sa politique et que le Canada a toujours défendu son autonomie en la matière. Mais les choses pourraient changer. On envisage maintenant la fin des compagnies aériennes aux couleurs de la feuille d'érable.

M. Gaudry craint que les Canadiens soient les grands perdants dans cette histoire. "Les permis de routes internationales, dont certaines valent près de 100 millions, pourraient être vendus aux Américains. Ce serait contre l'esprit et la lettre des traités internationaux."

Recréer un transporteur unique
Pire encore. Les aéroports sont des endroits loués aux grandes compagnies aériennes. Mais le coût des loyers exigés est dérisoire quand on regarde les sommes payées par la communauté qui les héberge. Routes, immeubles et infrastructures diverses exigent des dépenses sans commune mesure. "Le loyer de Dorval est de 25 millions par année. C'est comme payer 100$ par mois un appartement de quatre pièces en face de l'Université", lance M. Gaudry.

"Si vous n'êtes pas convaincu qu'il y a un gâchis dans cette industrie, vous ne le serez jamais", a conclu Rodrigue Tremblay. De l'avis de l'ancien ministre de l'Industrie et du Commerce du Québec, la solution économique aux problèmes de Canadian Airlines, c'est la faillite. Mais cette éventualité semble écartée pour des raisons politiques. Le temps presse si l'on veut limiter les dégâts.

La seule issue, au dire des deux spécialistes : recréer un transporteur national unique.

Selon Marc Gaudry, une solution énergique est envisageable. Elle consiste à forcer les deux entreprises canadiennes à s'entendre sur la redistribution des liaisons aériennes. En d'autres termes, le gouvernement fédéral doit reprendre les permis de Canadian Airlines afin de les redistribuer au plus offrant.

"La stratégie vigoureuse, je la qualifierais plutôt de 'positive', a renchéri M. Tremblay. Il faut sauver les meubles. Sinon, Air Canada pourrait, à son tour, se retrouver en situation de faillite d'ici cinq ans."

Mathieu-Robert Sauvé


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