La tête dans les étoiles et les pieds sur terre
Le fonds Hubert-Reeves crée une bourse annuelle
de 5000$.
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Hubert Reeves revient chaque automne donner
des séminaires en cosmogonie à l'Université
de Montréal. |
Lorsqu'il était étudiant au
collège Brébeuf, Hubert Reeves a reçu des
bourses qui l'ont aidé à faire des études
universitaires. Un demi-siècle plus tard, il "renvoie
l'ascenseur" en créant un fonds qui porte son nom
et qui permettra chaque année à un étudiant
qui poursuit des études aux cycles supérieurs en
astrophysique de recevoir une bourse de 5000$.
"Tenez-moi au courant de l'évolution
de votre carrière; je serai toujours intéressé
de savoir où vous en êtes", a dit l'astrophysicien
au premier lauréat de cette bourse, Hugues Demers, qui
traque une étoile Wolf-Rayet aux confins de la galaxie.
Le jeune homme a déclaré être très
honoré par cette marque d'attention et a promis d'y donner
suite.
Officiellement retraité mais toujours
actif au Centre national de recherche scientifique de France
et au Département de physique de l'Université de
Montréal, où il se présente chaque automne
à titre de professeur invité, Hubert Reeves a signé
une trentaine de livres depuis la publication de The Energetics
of Stellar Evolution, en 1962. Parallèlement à
sa brillante carrière d'homme de science reconnu par ses
pairs, il a toujours mis ses talents de communicateur au service
des profanes en donnant des conférences très courues
(notamment aux Belles Soirées de la Faculté de
l'éducation permanente) et en signant des ouvrages destinés
à un large public.
Pourtant, alors qu'il s'apprêtait à
publier Patience dans l'azur, on l'avait prévenu
que la science, ça ne se vendait pas. Il devait s'attendre,
dans le meilleur des cas, à un tirage de 2000 ou 3000
exemplaires. Patience dans l'azur a été
traduit en 25 langues et a dépassé le million d'exemplaires.
C'est son plus grand succès de librairie. Mais une dizaine
de ses titres ont dépassé les 100 000 ventes.
Hubert Reeves ne cache pas que ce sont ses
droits d'auteur qui lui ont permis de déposer 100 000$
dans le fonds qui porte son nom.
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Le boursier Hugues Demers traque une étoile
Wolf-Rayet aux confins de la galaxie. |
Un genre en soi
En abordant des questions scientifiques parfois arides dans des
mots simples et sans négliger l'aspect poétique,
l'auteur a créé un genre en soi. Il a même
osé parler de Dieu, ce qui est plutôt inusité
chez les hommes de science. "Mes modèles? L'astronome
Camille Flammarion et Carl Sagan; au Québec, Fernand Seguin."
Hubert Reeves est l'un des communicateurs
scientifiques les plus réputés au monde, dit son
collègue astrophysicien René Racine. "Devant
un auditoire de spécialistes, il sait admirablement faire
la synthèse dans un domaine de recherche. Et à
des non-scientifiques, il sait communiquer l'essentiel des connaissances.
Aujourd'hui, les chercheurs sont plus conscients de l'importance
de ces choses. Lui, il le fait depuis l'époque où
sévissait le syndrome de la tour d'ivoire."
La retraite? Non merci!
Dans l'hommage qui lui a été rendu par le recteur
Robert Lacroix, ce dernier signalait que M. Reeves venait au
Québec passer le plus beau mois de l'année. "Octobre
est en effet le moment où sont concentrés mes séminaires
avec les étudiants de l'Université de Montréal
et de l'Université Laval, a-t-il confié à
Forum. Cette année, mes cours ont eu lieu à
Québec plutôt qu'à Montréal. La collaboration
entre les universités québécoises devrait
être plus généralisée. Les maisons
d'enseignement sont trop souvent en compétition les unes
avec les autres."
Tant qu'il sera invité pour ces tâches
d'enseignement, il quittera sa résidence de Malicorne,
dans la Bourgogne, et son pied-à-terre à Paris
pour venir de ce côté de l'Atlantique. "J'ai
officiellement pris ma retraite, mais, franchement, cela n'a
pas changé grand-chose à mon agenda", dit-il.
Lors de ses séjours au Québec,
il réside dans la même maison qui l'a vu grandir,
rue McKenna, dans le quartier Côte-des-Neiges. Elle est
aujourd'hui habitée par son fils Nicolas, professeur d'architecture
à l'UQAM. Ses trois autres enfants, Évelyne, Gilles
et Benoît, sont établis en France et travaillent
respectivement dans les domaines du droit social, de l'informatique
et de la musique. Benoît Reeves incarne bien la double
nationalité de son père. Son groupe, "Les
maganés", fait giguer les Français au son
de la musique traditionnelle québécoise.
Avec le temps, Hubert Reeves a vu les universités
québécoises se développer d'une manière
respectable. Toutefois, il a été choqué
de voir la publicité faire son entrée dans les
campus au cours des dernières années. "L'université
doit apprendre aux gens à penser de manière indépendante,
et non servir à vendre des produits. Dans le métro,
je comprends qu'on vende Coke ou Pepsi. À l'université,
non."
L'astrophysicien avait tout de même
un autre message à livrer au cours de la cérémonie
de la création officielle de la bourse Hubert-Reeves:
"J'ai reçu, je donne." Il espère que
son geste sera imité par ses collègues qui ont
reçu une formation universitaire ayant servi d'assise
à leur carrière. "La tradition des dons personnels
pour créer des bourses est très vivante dans le
milieu anglophone. Malheureusement, c'est moins fréquent
chez nous. Espérons que cela va changer."
Mathieu-Robert Sauvé
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