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"Zéro défaut" et "qualité totale" nuisent à l'apprentissage par essais-erreurs

Nadine Murtada et Robert Haccoun étudient les facteurs qui influent sur les nouveaux comportements au travail.

Le professeur Robert Haccoun, qui dirige le laboratoire de recherche, a élaboré un modèle théorique qui permet de mieux évaluer le degré selon lequel l'environnement de travail, les contraintes, la pensée (éléments cognitifs) et la motivation sont favorables aux changements de comportements et à l'amélioration du rendement au travail.

Tout le monde sait que commettre une maladresse, faire une erreur ou choisir une mauvaise stratégie contribuent à la formation d'un employé. Or, depuis une vingtaine d'années, un riche vocabulaire caractérise la quête des dirigeants d'entreprise: la "qualité totale", l'"amélioration continue" et le "zéro défaut". Ces concepts savants visent le même but: éliminer les erreurs.

Cette contradiction n'a pas échappé à Nadine Murtada, qui mène actuellement des recherches doctorales au Département de psychologie sur la gestion du changement. Selon la chercheuse, l'objectif "zéro défaut" est à proscrire. L'approche de la gestion des erreurs est préférable à la prévention, estime-t-elle. Encore faut-il que la performance des employés ne soit pas évaluée en fonction de leurs bévues. À son avis, l'apprentissage consiste à tirer des leçons de ses erreurs. Si on les élimine, comment y arriver?

Qui plus est, dans un monde en perpétuel changement, où il ne suffit plus de reproduire les modèles étudiés pour s'assurer une part du gâteau, il est pratiquement impossible d'être créatif sans augmenter le risque d'erreurs. Le climat d'intransigeance présent dans bon nombre d'entreprises obsédées par la qualité totale risque de tuer la créativité et l'esprit d'initiative des employés, estime Nadine Murtada. Après tout, qui ne risque rien n'a rien!

Nadine Murtada aborde dans sa thèse de doctorat les éléments qui influent sur l'adoption d'un nouveau comportement dans le milieu de travail. Son projet d'études intègre pour la première fois les paramètres individuels à l'intérieur d'une conception organisationnelle.

Contexte plus large
L'intérêt de la recherche de Mme Murtada s'inscrit dans le contexte plus large d'une gestion mieux adaptée à la réalité complexe des années 2000, alors que rationalisation des entreprises et mondialisation de l'économie ravivent sans cesse la compétitivité. C'est aux gestionnaires les plus performants qu'appartient le marché de demain.

"Notre capacité dépend, bien sûr, de nos aptitudes, mais plus importante encore est la perception que nous avons de nos habiletés. Nous nous apercevons à peine en cette fin de siècle à quel point le système de pensée est puissant dans la gestion du comportement."

Celui qui parle ainsi est Robert Haccoun, professeur au Département de psychologie (et directeur du laboratoire de recherche où Mme Murtada mène son étude). Depuis environ 80 ans, dit-il, la psychologie était orientée vers les émotions. Aujourd'hui, on croit que c'est davantage la pensée qui est un des moteurs fondamentaux du comportement.

Mais qu'est-ce qui, dans un milieu de travail, influe positivement ou négative-ment sur le comportement à l'égard d'un changement? Nadine Murtada en a fait l'objet de sa thèse de doctorat. "Plusieurs variables peuvent avoir une influence sur l'adoption d'un nouveau comportement, répond-elle. Mais si l'employé ne croit pas en sa capacité d'atteindre un objectif, il n'essaiera même pas de toucher au but. C'est donc avant tout la perception de notre capacité à atteindre un objectif qui nous motive à agir."

Ce "contrôle perçu", comme l'appellent les psychologues industriels, est une des variables étudiées par Nadine Murtada. "C'est la perception que l'individu a du contrôle sur le résultat de son action", explique la chercheuse. Dans un contexte de travail, le comportement humain semble être influencé par quatre éléments, déclare-t-elle. "Trois d'entre eux sont des paramètres individuels, tandis que l'autre désigne l'organisation ou les occasions", précise Robert Haccoun.

Travailleurs dans le COMA
Le laboratoire de Robert Haccoun, subventionné par le CRSH et appuyé par l'entreprise privée, a élaboré un modèle qui définit les causes du comportement sous l'acronyme COMA. Le C renvoie aux éléments cognitifs, le O à l'organisation ou aux occasions, le M à la motivation et le A aux aptitudes de la personne.

On pourrait croire qu'il suffit d'éliminer les contraintes perçues pour favoriser l'adoption d'un comportement. Mais il n'en est rien. En fait, selon Nadine Murtada, "l'intervention ne devrait pas tant miser sur l'élimination des contraintes que susciter la création d'occasions, comme le suggère le modèle COMA". Autrement dit, l'entreprise doit fournir les outils et les ressources nécessaires pour atteindre les objectifs, sans quoi le personnel n'adoptera pas le comportement désiré.

L'implantation technologique est un exemple de changement qui peut engendrer de l'insatisfaction et même une incapacité à travailler, signale Nadine Murtada. Lorsqu'une entreprise fait appel à ses services, la psychologue industrielle observe attentivement les interactions qui existent entre l'environnement (organisation) et le personnel. Ensuite, elle discute avec les gens. "Une fois, j'ai été appelée par une firme qui voulait savoir pourquoi certains de ses employés démontraient une résistance à l'informatique. Ils n'avaient même pas d'ordinateurs!"

Règle générale, les problèmes sont beaucoup plus complexes, car, en plus des paramètres individuels, il existe une multitude de changements organisationnels. Chose certaine, l'entreprise doit fournir un soutien concret aux employés et leur donner un renforcement positif dans les efforts qu'ils accomplissent.

"'Lâche pas, t'es capable' est une formule de motivation. Mais il y en a beaucoup d'autres, affirme Nadine Murtada. Par exemple, l'entreprise peut prendre note des remarques faites par les employés lors des évaluations du rendement. Voir des collègues réussir, dont les capacités sont semblables aux nôtres, est aussi une source de motivation très grande."

Dominique Nancy


Gare à la fixation d'objectifs en période d'apprentissage

Dans un contexte de formation, il est fort probable que l'individu subira quelques échecs avant de réussir. Des recherches menées à l'Université démontrent que les dirigeants d'entreprise et les gestionnaires ne doivent pas fixer d'objectifs en période d'apprentissage.

"Fixer des objectifs durant un cycle d'apprivoisement peut avoir des effets négatifs sur le sentiment d'efficacité personnelle, puisque la probabilité de commettre des erreurs est plus élevée lorsque nous sommes en train d'acquérir un savoir", explique Nadine Murtada, étudiante au doctorat en psychologie.

Mais compte tenu de son pouvoir de motivation, cette politique de fixation d'objectifs, pour ne pas dire cette idée fixe, est une pratique courante dans la gestion actuelle des entreprises. "L'évaluation du rendement des employés à la fin de l'année est basée sur l'atteinte des objectifs, souligne Nadine Murtada. Souvent, la performance n'est jugée qu'à partir de ce critère. Cette hantise de la performance mène à une autre obsession: la perfection."

D.N.


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