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Le morcellement de l'opposition favorise le Parti libéral

Comment et pourquoi le gouvernement de Jean Chrétien a été reporté au pouvoir en 1997.

André Blais, professeur au Département de science politique, est un des quatre auteurs qui ont analysé la campagne électorale de 1997 et dont les résultats figurent dans un ouvrage intitulé Unsteady State: The 1997 Canadian Federal Election.

Les élections fédérales de 1993 ont bouleversé l'échiquier politique fédéral. Le Parti conservateur a pratiquement été balayé de la carte électorale alors que le Parti réformiste et le Bloc québécois faisaient leur entrée à la Chambre des communes, ce dernier devenant l'opposition officielle. Cette composition inusitée des sièges allait-elle se répéter au scrutin suivant? Qu'est-ce qui a justifié le comportement des électeurs et quelle a été leur relation avec les partis en lice? Quatre chercheurs, dont deux de l'Université de Montréal, ont voulu comprendre les tenants et aboutissants de la campagne électorale et du vote. L'ouvrage Unsteady State: The 1997 Canadian Federal Election constitue le résultat de leurs travaux.

"Pour nous, toutes les élections sont intéressantes et importantes. En raison du contexte particulier de 1993, nous nous demandions si 1997 allait donner lieu à un retour au système de deux partis et demi, soit le Parti libéral du Canada, (PLC) le Parti conservateur (PC) et le Nouveau Parti démocratique (NPD). Manifestement, la réponse a été un peu ambiguë. Ce n'est pas le retour au statu quo." Un équilibre jugé instable, d'où le titre du livre.

André Blais, professeur au Département de science politique, a coordonné les travaux du groupe de chercheurs qu'il formait avec son collègue Richard Nadeau, responsable du nouveau programme bidisciplinaire communication-politique, ainsi qu'Élisabeth Gidengil, de l'Université McGill, et Neil Nevitte, de l'Université de Toronto. Le document a pu compter sur une subvention de 700 000$ du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Il est publié en version originale anglaise.

Comme le précise André Blais, Unsteady State: The 1997 Canadian Federal Election est une banque de données pour les chercheurs de tous les horizons. "Nous voulions joindre l'auditoire le plus large possible et nous espérons que le livre sera utilisé dans les cours. Nous nous sommes surtout interrogés comme les analystes et les journalistes l'auraient fait."

L'analyse a d'ailleurs été soutenue par un comité consultatif regroupant des historiens, des économistes, des sociologues, des politologues et des représentants du domaine des communications.

Les partis
Selon le professeur Blais, le Parti libéral a pris du galon le 2 juin 1997 et la tendance du vote semble le favoriser. "Il bénéficie d'une avance importante. D'autant plus qu'il n'y a pas de second parti qui s'impose comme remplaçant logique. Et tous ceux qui sont insatisfaits de la formation menée par Jean Chrétien risquent de se disperser, ce qui devient aisé pour les libéraux", souligne-t-il. Par ailleurs, il rappelle que, dans les démocraties modernes, les règnes durent moins longtemps qu'auparavant.

Du côté du Parti conservateur, la formation n'a pas réussi à faire oublier la défaite cuisante de 1993, malgré la présence du leader Jean Charest. Ayant depuis lors fait le saut en politique provinciale, M. Charest est maintenant à la tête du Parti libéral du Québec.

Le Bloc québécois a pour sa part reculé dans les intentions de vote, un phénomène qu'André Blais attribue au déclin de la popularité du chef. Sans vouloir comparer Lucien Bouchard et Gilles Duceppe, ce qui serait à son avis injuste, il parle plutôt de contexte politique. Le premier est un leader qui se distingue par son charisme alors que le second a été nommé chef de la formation souverainiste très peu de temps avant le déclenchement des élections générales.

En ce qui a trait au Nouveau Parti démocratique, le chercheur considère qu'il n'a gagné des sièges que dans l'est du pays. "Le parti a pu profiter d'une chance en or dans les Maritimes, mais nulle part ailleurs. En somme, il a fait très peu de gains. Il y a eu un déplacement de l'électorat vers le centre droite, ce qui a favorisé les libéraux et les conservateurs. La progression du NPD semble plus difficile pour les élections à venir."

Pour le professeur, c'est le Parti réformiste qui a écopé le plus en 1997. Outre le fait de perdre des circonscriptions dans l'ouest du pays, la formation dirigée par Preston Manning n'a pas réussi à faire une percée significative en Ontario, au Québec ou dans les Maritimes. "Ses chances de renforcer ses assises aux prochaines élections ne sont pas très bonnes. Il y aura une chaude lutte entre le PLC et le Parti réformiste." Il juge que le défi du prochain scrutin aura trait à la capacité du Parti réformiste d'absorber le vote libéral.

Traitement médiatique
Dans leur ouvrage, les quatre chercheurs ont aussi étudié les effets de la couverture télévisée sur les électeurs. Un choix de média justifié par le fait que des études antérieures ont démontré que les électeurs sont davantage influencés par le contenu des nouvelles à la télévision.

À la lumière de leurs observations, ils estiment que l'attaque du Parti réformiste contre les chefs québécois dans sa publicité électorale, vivement contestée par ses adversaires, surtout le Bloc québécois, a eu un effet important sur l'issue du vote. Cependant, André Blais croit que la déclaration de Jean Chrétien sur la majorité nécessaire à la souveraineté du Québec, si elle a quelque peu stimulé le vote en faveur du Bloc, a eu un impact global limité, ayant été faite en toute fin de campagne.

Fait intéressant, dénote le politologue, la cote de popularité du chef conservateur d'alors, Jean Charest - qui, selon lui, a gagné les deux débats télévisés -, est demeurée élevée tout au long de la campagne. Toutefois, cet ascendant ne s'est pas reflété dans les intentions de vote.

Enfin, sa position à la tête du pouvoir et la croissance économique satisfaisante du Canada au moment du déclenchement des élections ont procuré plus de couverture au Parti libéral et, par conséquent, ont joué en sa faveur, croit André Blais.

Structure du vote
Selon le politologue, c'est le vote antilibéral qui a favorisé la seule véritable percée du NPD dans les Maritimes. Un trait jugé contextuel. "Les différences régionales reflètent beaucoup moins la distribution des votes qu'on le croie. Être antilibéral dans l'Ouest mène au Parti réformiste. C'est une considération saillante. Mais en Ontario, ce n'est qu'un facteur parmi tant d'autres." André Blais déplore que les travaux du groupe n'aient pas permis d'aller plus loin dans ce volet régionaliste.

Dans leur analyse postélectorale, les chercheurs ont constaté que les électeurs se divisent en deux camps. La première moitié s'identifie à une formation politique et conserve son allégeance au fil des scrutins. Par contre, l'autre moitié démontre moins de constance. Ne penchant pas véritablement en faveur d'un parti ou d'un autre, elle prend le temps d'évaluer de nouveau le tableau électoral. Et dans le cas du scrutin de 1997, les auteurs ont calculé que plus de la moitié des électeurs, soit 68%, ont voté différemment entre 1993 et 1997. "Sur le plan individuel, c'est un changement substantiel", remarque André Blais. Toutefois, la participation au suffrage a été faible: un seul électeur canadien sur trois a voté.

Le politologue constate également que les jeunes ont été moins nombreux à se prévaloir de leur droit de vote que leurs prédécesseurs en 1987. "Le cynisme n'est pas plus élevé chez les jeunes. Mais ils sont plus mobiles et ont donc tendance à voter moins. En général, plus on vieillit, plus le taux de participation au suffrage augmente." Il explique qu'une fois la période de mobilité passée la plupart des jeunes s'installent dans une région, s'intègrent à leur communauté et ont donc plus tendance à exercer leur droit de vote.

Perspectives
Il s'agit de la troisième participation d'André Blais à une analyse électorale menant à la publication d'un ouvrage, après Letting the People Decide sur le scrutin fédéral de 1988 et Challenge of Direct Democracy en rapport avec le référendum de Charlottetown en 1992. Il travaille actuellement à la préparation d'une demande de subvention en vue de l'analyse du prochain rendez-vous électoral fédéral. "L'enjeu le plus important aura trait à la lutte du côté de la droite. Il est improbable, à long terme, que les deux partis de droite survivent indéfiniment. Lequel, du Parti réformiste ou du Parti conservateur, dominera? Si le Parti conservateur possède un léger avantage, il est loin d'être certain qu'il l'emportera. Et il faut se demander si le Parti réformiste sera en mesure de modifier son image en conservant ou non son dirigeant actuel."

Marie-Josée Boucher


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