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Une vétérinaire chez les éleveurs de dromadaires

Céline Leheurteux pose un regard critique sur la coopération internationale.

Céline Leheurteux dans la brousse tchadienne, où elle a effectué un stage de six semaines avec Vétérinaires sans frontières.


"Par un soir d'été, dans la nuit étouffante de la capitale, j'ai foulé en solitaire le sol tchadien. Dès mon arrivée à N'Djamena, je sens déjà la lourdeur du climat politique parsemé de militaires au regard et à la mitraillette bien aiguisés. [...] J'ai séjourné à Abéché, à deux jours de jeep de la capitale, dans la région la plus aride du Tchad et peut-être de l'Afrique, tant au niveau météorologique qu'humain. On dirait que l'ambiance suit le degré d'humidité."

Céline Leheurteux, qui terminait son doctorat professionnel en médecine vétérinaire au printemps dernier, livrait ainsi ses souvenirs d'Afrique au journal étudiant de sa faculté, L'Articulation, au retour d'un stage de six semaines effectué au Tchad l'année dernière. Un stage qui lui a permis de réaliser qu'il y a d'autres façons de faire que celles apprises sur les bancs d'école et qui lui a aussi permis de découvrir la face cachée de la coopération internationale.

"J'avais toujours été intéressée par la coopération internationale et j'envisageais d'orienter ma carrière de ce côté", a-t-elle indiqué à Forum. Un autre diplômé de la Faculté, Martin Lavoie, se trouvant déjà au Tchad depuis quelques mois avec Vétérinaires sans frontières, elle profite de son aide pour soumettre un projet à la Society for Tropical Veterinary Medicine, qui lui accorde une bourse pour d'effecuer son stage.

Mais on ne va pas au Tchad pour soigner les animaux de compagnie. Vétérinaires sans frontières avait plutôt besoin de coopérants capables de former les éleveurs... de dromadaires, un animal peut commun au Québec mais essentiel au transport et à l'alimentation des nomades du désert.

"Le projet visait la mise sur pied d'une équipe en mesure de transmettre les notions de base en médecine vétérinaire préventive, comme les principes d'hygiène élémentaire, le traitement des plaies, l'importance de la vermifugation, la reconnaissance des maladies, la détermination des médicaments et des méthodes d'administration", précise Céline Leheurteux.

Ce qui peut sembler simple devient tout un défi lorsqu'il s'agit de produire, pour une telle formation, un manuel destiné à des analphabètes qui n'ont aucune expérience de la représentation visuelle des choses.

"Il faut employer des images de leur réalité et essayer de garder l'échelle des dimensions, ce qui devient parfois très complexe à rendre. Comme les nomades produisent tout ce dont ils ont besoin, ils n'ont aucune culture visuelle et ne comprennent pas qu'on puisse représenter des choses qui ne se voient pas, par exemple l'haleine du dromadaire. Le dessin d'une bactérie peut être interprété comme la représentation d'un lac ou une mouche tsé-tsé agrandie peut être perçue comme un monstre."

Au menu: oeufs de ténias
Mais ces difficultés n'ont pas été les pires qu'ait eu à affronter l'étudiante. Logeant chez des familles, Céline Leheurteux avoue avoir été incapable de manger pendant une semaine après avoir remarqué des oeufs de ténias dans le ragoût!

Le choc des cultures a également été très grand. Une jeune Nord-Américaine blanche qui débarque "en solitaire" dans un pays "en état de guerre perpétuel" comme le Tchad peut constituer une proie facile ou être considérée comme une extraterrestre. "Il est impossible d'aller dans ce pays si l'on n'a pas déjà quelqu'un pour nous accueillir", dit-elle. "Les Tchadiens musulmans, écrivait-elle dans L'Articulation, sont très fermés à la culture occidentale et perçoivent les Blancs comme décadents; dans les villes on nous méprise, dans la brousse on terrorise."

L'idée d'être prise en otage, attendant en vain d'être libérée par un hélicoptère de l'armée, lui a effleuré l'esprit. Un premier départ avait d'ailleurs été annulé à cause de troubles politiques. Heureusement pour elle, c'est son côté extraterrestre qui a prévalu: si les femmes ne doivent pas dévoiler leurs formes en public, on lui permettait, parce qu'étrangère, de circuler en pantalon et en tee-shirt.

Elle a été déconcertée de constater que, dans ce pays qui est l'un des plus pauvres de la planète, on peut trouver de tout au marché noir: "À une semaine de route de la capitale, en pleine brousse, on peut se procurer des prises de vidéo ou même des cassettes de Céline Dion."

Les pièges de la coopération
Céline Leheurteux est revenue de son stage avec un regard plutôt critique sur les projets de coopération internationale. "On m'avait déjà dit que ces projets servaient des fins politiques; maintenant, je comprends ce que ça veut dire. Les coopérants en tirent d'excellentes expériences, mais il y a peu de retombées pour les gens sur place. C'est surtout l'image du Canada qui y gagne."

À son avis, le Tchad vit "sous perfusion de l'aide internationale guidée par les espoirs pétroliers de l'Occident, les visées expansionnistes des musulmans ou le jeu des votes à l'ONU".

Mais il y a pire. L'aide internationale rend le pays dépendant par l'introduction d'approches étrangères à la culture locale. "On fournit des vaccins, mais il n'y a pas de nourriture pour les enfants à naître. Nous inculquons aux gens nos principes occidentaux de salubrité et d'alimentation alors qu'ils n'ont pas la culture qui va avec. Si l'on commence un tel processus, il faut fournir les ressources pour aller jusqu'au bout; mais ce n'est pas ce que nous faisons."

Céline Leheurteux serait plutôt portée à laisser jouer davantage la sélection naturelle. "Les nomades parviennent très bien à survivre et il serait peut-être préférable de laisser ces peuples continuer à évoluer avec leurs conditions environnementales et leurs convictions, affirme-t-elle. Nous luttons contre la sélection naturelle sans aller jusqu'au bout de nos interventions."

La jeune vétérinaire n'en a pas moins fait quelques apprentissages sur le plan professionnel. "Ici, nous opérons en contexte maximal alors que là-bas nous sommes obligés de trouver des solutions adaptées. Ceci nous amène à relativiser ce qu'on a appris et à découvrir qu'il existe d'autres façons de faire les choses. Une telle expérience nous permet également de constater les conséquences néfastes de l'absence de prévention en médecine vétérinaire."

"Sur le plan humain, conclut-elle, j'ai appris que pauvreté n'égale pas malheur et, tout en appréciant notre confort, je m'en fais maintenant moins avec la vie."

Daniel Baril


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