FORUM - 15 MAI 2000

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Les personnes handicapées dans le dédale universitaire

Malgré les efforts, beaucoup reste encore à faire.

Le système particulier installé dans la voiture d'Élaine Allard, étudiante à l'École des Hautes Études Commerciales, permet à cette jeune femme paraplégique de se déplacer où et quand elle veut.

Mercredi 5 avril 2000. Les basketteuses et basketteurs de la Direction des ressources humaines étaient confiants de gagner le match. Mais leurs adversaires, les employés des Services aux étudiants (SAE) et de la Direction des immeubles, leur collaient aux baskets... Ou plutôt aux roues, car la partie de basket-ball avait lieu en fauteuil roulant.

"Il s'agit d'une activité annuelle qui a pour but de sensibiliser la communauté universitaire aux obstacles que rencontrent quotidiennement les personnes handicapées", indique Élaine Allard, animatrice de l'événement pour cette année.

L'étudiante en administration des affaires à l'École des Hautes Études Commerciales (HEC) en a long à dire sur les conditions d'études et l'intégration de ceux et celles qui souffrent d'une déficience physique, visuelle, auditive ou d'apprentissage. "L'accès au savoir ne doit pas faire oublier qu'il y a encore beaucoup à réaliser, notamment sur le plan de l'aménagement physique. La personne handicapée devrait pouvoir se déplacer où elle veut, quand elle veut...", déclare la jeune femme paraplégique.

La majorité des pavillons sont accessibles aux étudiants en fauteuil roulant. Sur le campus, seulement quelques salles de classe ne le sont pas. Mais les sorties à l'extérieur du campus peuvent devenir un vrai cauchemar pour un handicapé moteur. "C'est toute une aventure, surtout en hiver!" lance Élaine Allard.

L'étudiante s'est acheté une voiture, qu'elle a fait adapter, afin de faciliter ses déplacements. "Un système manuel est relié aux pédales de l'accélérateur et des freins, explique-t-elle. J'ai besoin d'un véhicule, car l'Université n'offre pas de transport adapté après 18 heures ni la fin de semaine. Rester chaque soir dans ma chambre, à la résidence, non merci!"

Malgré sa déficience physique, Élaine Allard est très active. En plus d'étudier à temps plein, elle travaille une quinzaine d'heures par semaine à la Société des bingos du Québec et elle est membre de l'équipe féminine provinciale de basket-ball en fauteuil roulant.

La jeune femme, qui rêve depuis l'adolescence de participer aux Paralympiques, s'entraîne de 6 à 10 heures par semaine au CEPSUM. "Mes chances de faire partie de l'équipe nationale qui partira à Athènes en 2004 sont bonnes, estime-t-elle. Mais l'infrastructure du complexe sportif ne m'aide pas à atteindre cet objectif. Il n'y a ni douche ni toilettes adaptées pour les fauteuils roulants dans les vestiaires. Ce n'est pas très pratique, car on transpire et l'on boit beaucoup d'eau lorsqu'on s'entraîne."

Daniel Boucher, conseiller du Bureau des étudiants handicapés des SAE

Le respect avant tout
Autres problèmes: le déneigement et le stationnement. Élaine Allard habite à la résidence mixte, située au 2350, boulevard Édouard-Montpetit. Pour elle, l'inconvénient majeur, ce n'est pas l'absence de cuisine - elle a son four à micro-ondes dans sa chambre -, mais l'accès parfois difficile au stationnement en hiver.

"Comment me rendre à ma voiture si ce n'est pas déneigé? J'ai le même problème lorsque je vais à l'École des HEC puisque je n'ai pas les moyens de payer pour le stationnement intérieur. Je suis contrainte de garer mon auto à la Faculté de l'aménagement ou dans les rues avoisinantes, qui ne sont guère mieux déneigées."

À son avis, le stationnement intérieur devrait être gratuit pour les handicapés physiques. Au minimum, estime Élaine Allard, l'UdeM et l'École des HEC devraient avoir un tarif qui donne accès aux deux stationnements. Mais ce qui la choque le plus, c'est le manque de respect de certains à l'égard des personnes handicapées. "Il y a toujours un 'p'tit effronté' pour prendre la place qui leur est destinée."

D'autres immobilisent leur véhicule au débarcadère réservé au transport adapté, déplore le président de l'Association des étudiants handicapés de l'UdeM, Daniel Bonin. Cet étudiant de la Faculté de droit se retrouve ainsi parfois en plein milieu de la rue Jean-Brillant lorsqu'il descend du minibus. Pas très sécuritaire... pour un aveugle!

"Les problèmes reliés au stationnement sur le campus de l'Université devraient bientôt être réglés", déclare Daniel Boucher, conseiller au Bureau des étudiants handicapés des SAE. En effet, l'Université a récemment donné son accord à la mise en place d'un moyen coercitif afin de faire respecter les règlements du stationnement sur le campus (voir Forum, vol. 34, no 27, 3 avril 2000).

"En ce qui concerne l'accès au stationnement de l'École des HEC, la situation particulière de Mme Allard sera présentée à la prochaine réunion du Comité pour l'intégration des étudiants handicapés, assure le conseiller. C'est la première fois que le Bureau se trouve devant un cas pareil. La jeune femme est titulaire d'un permis de stationnement de l'Université, mais elle étudie à l'École des HEC."

La décision du Comité, présidé par Rhoda Weiss-Lambrou, professeure à l'École de réadaptation, changera peut-être la vie d'Élaine Allard. Et éventuellement, celle d'autres personnes handicapées. "La situation aurait pu être corrigée plus rapidement, signale M. Boucher, mais Mme Allard nous a exposé son problème seulement à la fin de l'hiver."

Reste donc la question du déneigement à la résidence mixte. Est-ce la responsabilité de la Direction des immeubles ou celle des Services auxiliaires, dont dépendent les résidences? Chacun se renvoie la balle, soutient Élaine Allard. Ce n'est donc pas demain que prendra fin son cauchemar. À moins qu'elle ne renouvelle pas son bail.

Quelques basketteuses et basketteurs qui ont participé au match de basket-ball en fauteuil roulant.

Les services adaptés
Au-delà de certaines lacunes dans l'aménagement physique, plusieurs efforts ont été déployés afin d'améliorer l'accessibilité des infrastructures sur le campus, souligne Daniel Boucher en faisant référence à l'installation des portes électriques et à l'ajout des places de stationnement. Le Bureau des étudiants handicapés offre une gamme de services adaptés à ceux et celles qui sont atteints d'un handicap.

À partir de la page d'accueil de l'Université, on peut d'ailleurs accéder au site des Services aux étudiants handicapés. On y trouve une foule de renseignements utiles pour ces personnes, notamment la politique d'aide financière, les mesures prises par l'Université pour tenir compte de la spécificité de chaque difficulté dans la procédure d'admission et les noms et numéros de téléphone de personnes-ressources.

Deux conseillers sont disponibles pour fournir les aides nécessaires à une meilleure intégration. Selon les programmes d'études et les limitations particulières de chacun, le conseiller veille à ce que les étudiants handicapés bénéficient des ressources essentielles au développement de leur potentiel: interprète, preneur de notes, tuteur, lecteur, assistant physique et ressources matérielles.

Parmi les autres services offerts, mentionnons le transport adapté interpavillonnaire, les chambres conçues spécialement pour les étudiants avec une déficience physique et les services documentaires adaptés disponibles à la Bibliothèque des lettres et des sciences humaines.

"Notre rôle consiste à repérer et à rendre accessible la documentation dont les étudiants ont besoin pour leurs cours", indique Nicole Chamberland, bibliothécaire aux Services documentaires adaptés aux personnes handicapées (SDAPH). Mme Chamberland s'occupe également de la formation des étudiants handicapés à l'utilisation des appareils mis à leur disposition.

L'année dernière, les personnes handicapées inscrites à l'UdeM ont eu recours 2651 fois au matériel des SDAPH: un lecteur optique de conversion en braille; six ordinateurs avec poste de travail amovible, écran grossissant et plage tactile; un dispositif de synthèse et de reconnaissance vocale qui permet à l'ordinateur de lire à haute voix le texte affiché à l'écran ou de recevoir des commandes vocales; et un téléscripteur (clavier) facilitant les communications téléphoniques entre personnes malentendantes.

Dominique Nancy


Le chien au service de l'homme

Daniel Bonin, étudiant à la Faculté de droit, en compagnie de Nicole Chamberland, bibliothécaire aux Services documentaires adaptés aux personnes handicapées

Si les chiens guides sont d'un précieux secours pour les aveugles, ils peuvent aussi fournir une aide aux handicapés moteurs. Un dressage intensif rend cet ami de l'homme capable de ramasser des objets tombés sur le sol, d'ouvrir ou de fermer un commutateur électrique et même d'ouvrir une boîte de conserve.

Bombel, le labrador de Daniel Bonin, n'est pas dressé pour ce type de travail. Mais il fournit néanmoins à cet étudiant en droit atteint de cécité une très grande aide. "Il facilite mes déplacements en me faisant éviter les obstacles et maximise aussi ma rapidité." Tous les efforts de Daniel - et de son chien - sont orientés vers un objectif: le diplôme. Mais la route est parfois longue et semée d'embûches.

Âgé de 35 ans, ce père d'un jeune garçon a dû réorganiser sa vie et ses activités quand il est devenu totalement aveugle il y a une douzaine d'années. Malgré les nombreuses opérations, le glaucome - maladie de l'oeil caractérisée par une pression oculaire élevée qui finit par atrophier le nerf optique - a entraîné une détérioration graduelle de sa vision.

"Je ne suis pas mal voyant mais bel et bien aveugle puisque je ne voit rien", dit l'étudiant. Il tient à faire savoir qu'on ne doit pas caresser un chien guide tant qu'il porte son harnais, car cela est susceptible de le distraire.

L'entraînement du chien guide lui commande d'ignorer les stimulations extérieures, explique Daniel Bonin, mais les manifestations affectueuses du public, certains types de bruits et la présence et les odeurs d'autres animaux peuvent parfois nuire à sa concentration. La tâche du chien guide est de veiller à la sécurité de l'aveugle ou du mal-voyant. Pour en arriver là, le chien a subi un dressage exigeant.

"Toute la subtilité du dressage consiste à établir une connivence parfaite entre l'homme et l'animal. Le but est d'instaurer dans l'esprit de l'un et de l'autre un sentiment de confiance." Il faut les voir circuler sur le campus pour constater cette harmonie. Ensemble, ils filent vers la Bibliothèque des lettres et des sciences humaines en contournant les trous et même les flaques d'eau.

De toute évidence, ils sont accoutumés à ce parcours entre la résidence du 2350, boulevard Édouard-Montpetit et le cinquième étage de la Bibliothèque. C'est à cet endroit que se trouvent les Services documentaires adaptés aux personnes handicapées (SDAPH). "Cette unité est notre quartier général, souligne Daniel Bonin, car on y trouve des solutions à nos questions." L'approche personnalisée de la bibliothécaire Nicole Chamberland rend le savoir accessible. Le manque d'espace est cependant manifeste.

"L'Université étudie actuellement la façon de modifier les locaux, signale Mme Chamberland, mais les choses évoluent lentement." Et Daniel Boucher, conseiller au Bureau des étudiants handicapés des SAE, s'inquiète. "Qu'adviendra-t-il s'il y a un feu? Les SDAPH sont situés loin des sorties de secours, fait-il remarquer. La direction devrait voir à ce problème."

D.N.


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