FORUM - 15 MAI 2000

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Les femmes consacrent autant de temps à soigner leurs parents qu'à élever leurs enfants!

Francine Ducharme occupera la Chaire de recherche en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille.

Les femmes d'aujourd'hui consacrent autant d'années de leur vie à prendre soin de leurs parents qu'à élever leurs enfants, soit environ 18 ans. C'est du moins ce qu'a calculé Francine Ducharme, professeure à la Faculté des sciences infirmières, qui vient de se voir confier la Chaire de recherche en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille.

"De nombreuses recherches ont déjà permis de documenter la grande vulnérabilité des membres des familles, notamment des femmes, qui jouent le rôle d'aidants ou de soignants d'une personne âgée atteinte de problèmes de santé d'ordre cognitif tels ceux qu'on rencontre dans la maladie d'Alzheimer", dit Mme Ducharme.

Selon cette professeure titulaire qui n'a pas attendu la création d'une chaire pour s'intéresser au sujet puisqu'elle s'est dirigée en gérontologie il y a plus de 20 ans, les impacts à long terme du virage ambulatoire sont encore mésestimés. "Il y a des effets positifs dans cette réorientation. Par exemple, on croyait que la chirurgie d'un jour était très mal reçue par les usagers. Au contraire, de nombreux patients sont contents de retourner rapidement à la maison après une opération mineure comme l'ablation d'un kyste ou une intervention pour la cataracte."

Outre ces "cas simples", il est évident que des opérations complexes nécessitent une supervision constante. Les familles sont alors les meilleurs alliés du ministère de la Santé et des Services sociaux dans la réorganisation du système. D'ailleurs, Francine Ducharme insiste pour bannir du vocabulaire le terme "aidant naturel", car le fait de s'occuper d'un conjoint ou d'un parent en perte d'autonomie n'a rien de naturel. Elle préfère de beaucoup l'expression "aidant familial". Et qu'on le veuille ou non, il s'agit d'abord et avant tout de femmes. "Certains hommes jouent le rôle d'aidants, et nous avons un projet d'étude pour mieux les connaître, mais dans plus de 90% des cas, ce sont encore des femmes qui prennent soin des proches. La fille ou la conjointe du malade le plus souvent, la belle-fille à l'occasion."

Chercheuse happée par son sujet
Mme Ducharme s'est elle-même sentie devenir sujet de recherche lorsqu'elle a aidé sa mère à s'occuper de son père atteint de cancer. Pendant trois ans, mère et fille (toutes deux infirmières, d'ailleurs) ont donc pu mettre un visage sur les statistiques. "Je vous assure que ça m'en a appris beaucoup sur les aidants familiaux."

Que faire lorsque la pression du patient monte subitement? Lorsqu'il se plaint de vives douleurs? Lorsque les doses de médicaments à administrer sont imprécises ? "J'ai moi-même appelé Info-santé à plusieurs reprises, dit l'aidante. Pourtant, ma mère et moi possédions une formation pour intervenir auprès des malades. Comment se sentent celles qui n'en ont aucune? Faire des injections, donner des soins spécialisés n'est pas toujours facile."

Même pour deux infirmières aguerries, le virage ambulatoire comportait des ratés. Par exemple, quand le malade a senti la mort venir, ses proches n'ont pas pu diminuer ses souffrances. "Je voulais lui donner de la morphine. Info-santé m'a répondu de l'emmener à l'hôpital!"

M. Ducharme s'est éteint pendant le temps des Fêtes. Il avait 70 ans.

Aider les aidants
Cette expérience a définitivement convaincu Mme Ducharme que la santé des aidants familiaux était fondamentale. "En général, les femmes prennent soin de leurs proches jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus. Leur santé s'en ressent. Elles doivent alors elles-mêmes visiter l'urgence et, dans certains cas, être hospitalisées. Le patient est alors dans une position délicate. Il risque d'être hospitalisé de nouveau. Tout cela coûte cher à la société."

Au cours des visites à domicile, il importe donc d'aider autant les personnes qui prennent soin d'un malade que le malade lui-même. Voeu pieux? En tout cas, certains pays commencent à réaliser l'importance de ces alliés bénévoles. Récemment, Mme Ducharme a effectué un stage en Angleterre, où elle a constaté que certains aspects de l'intervention des familles sont enchâssés dans la loi depuis 1995.

Ce sujet et bien d'autres figurent au programme de la Chaire de recherche en soins infirmiers à la personne âgée et à la famille. Mme Ducharme estime que les fonds de cette chaire permettront de faire avancer les connaissances plus rapidement.

Première au Canada, la Chaire est issue d'un programme de partenariat entre la Faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal et l'Institut interuniversitaire de gériatrie de Montréal, et est financée par les diplômés de la Faculté, la Croix-bleue du Québec, Merck Frosst Canada, le fonds Guy-Sauvageau et des donateurs anonymes.

Actuellement, la Chaire dispose d'un fonds de 800 000$, mais on souhaite atteindre sous peu le cap du million de dollars afin d'assurer sa pérennité. Seuls les intérêts seront alors utilisés pour financer les opérations.

Mathieu-Robert Sauvé


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