FORUM - 15 MAI 2000

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La créativité, moteur de la science

"La recherche est un art", selon Louis Cartilier.

Louis Cartilier, professeur à la Faculté de pharmacie, n'emploie pas son talent de créateur que dans la recherche. Pour lui, la musique est la science des mondes intérieurs.

"Découvrir, c'est voir la même chose que tout le monde a vue, mais penser ce que personne n'a pensé." Cette citation du découvreur de la vitamine C, Albert Szent-Györgyi von Nagyrapott, décrit bien l'approche de travail de Louis Cartilier.

"Rien ne sert de réinventer la roue, précise le professeur de la Faculté de pharmacie. En recherche, il faut miser sur la créativité. Mais le système d'attribution des fonds fait qu'il est difficile d'obtenir une subvention nationale quand le projet sort des sentiers battus."

Le Conseil de recherches médicales a d'ailleurs déjà refusé d'accorder son appui à Louis Cartilier et son équipe pour l'étude d'une nouvelle méthode de libération contrôlée des médicaments. Le comité d'évaluation a jugé que les objectifs ne pouvaient être atteints. On croyait jusqu'alors impossible de fabriquer un médicament à base d'amylose réticulé qui ne se désintègre pas progressivement dans l'estomac.

C'est pourtant ce que lui, son étudiant au doctorat et deux autres chercheurs de l'Université du Québec à Montréal ont réussi à faire. Leur innovation technologique porte aujourd'hui le nom commercial de Contramid. L'année dernière, l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences leur décernait le prix Joseph-Armand-Bombardier pour cette découverte prometteuse.

"Ce qui me grise, ce n'est pas la frénésie entourant une découverte mais la satisfaction de mener à terme un projet. Il faut être obstiné quand on fait de la recherche", déclare Louis Cartilier. Dans la même visée, un inventeur renommé a dit: "Le génie, c'est 2% d'inspiration et 98% de transpiration."

L'essence de la créativité
Malgré la pertinence de la remarque de Thomas Edison, l'information est la condition sine qua non de la créativité, de la qualité et de l'innovation. Sans elle, on ne peut pas parvenir à des découvertes scientifiques même en déployant beaucoup d'efforts.

"Le travail du chercheur s'apparente à celui du détective, souligne le professeur. Mais il ne s'agit pas tant de découvrir la vérité que le sens de la réalité étudiée. Cette approche de la recherche possède un côté obsédant. On ne se promène pas en marmonnant: 'Hum!... comment avoir une idée vraiment originale?' Les problèmes s'imposent néanmoins souvent sans répit à la conscience et les idées peuvent surgir en plein milieu de la nuit."

Mais ça ne coule pas toujours de source. Louis Cartilier en sait quelque chose. Alors qu'un de ses projets semblait n'aboutir à rien, une analyse minutieuse des résultats a révélé une nouvelle hypothèse. "Notre échec s'est avéré plus tard être la base de la découverte d'un nouvel agent liant et désintégrant pour lequel un brevet a été obtenu en 1999."

Les découvertes sont-elles davantage le fruit d'un heureux hasard? "C'est parfois le cas, reconnaît le chercheur. Mais encore faut-il pouvoir les déceler et les expliquer. Cela dit, la créativité est aussi une manifestation de l'intelligence." Selon lui, la personne créative se distingue par sa capacité à voir dans les découvertes des applications possibles dans d'autres champs d'études et à affronter les problèmes avec un esprit ouvert. Par exemple, un scientifique doit savoir se poser les bonnes questions, surtout lorsque les résultats escomptés ne sont pas ceux obtenus.

Pourquoi n'arrive-t-on pas à reproduire l'étude menée par un pair? Comment augmenter l'efficacité du médicament tout en réduisant les effets secondaires potentiels? "Le besoin de connaître est le moteur de la créativité, affirme le professeur, mais c'est beaucoup plus que de la curiosité. La recherche est motivée par une passion: celle de créer." La créativité n'est pas l'apanage des artistes et des publicitaires, clame-t-il.

La créativité et l'art d'enseigner
Le "gourou de la publicité québécoise", Claude Cossette, partage cet avis. Dans son livre La créativité: une nouvelle façon d'entreprendre, publié aux Éditions Transcontinental, il signale que la créativité devrait être enseignée à tout le monde. "Dans une société changeante comme la nôtre, c'est une question de survie. [...] On doit donc réveiller chez tous les capacités créatives endormies. Et davantage chez les intellectuellement intelligents", écrit-il. À son avis, trop d'universitaires se limitent au raisonnement logique.

Le professeur d'origine belge considère que l'art d'enseigner devrait aussi faire partie de la formation des chercheurs. Pour lui, le savoir n'est pas synonyme de savoir-faire. Ce qu'il trouve le plus dur dans son travail, ce n'est pas la frustration de ces longues périodes à chercher et à ne rien trouver, mais les rapports humains. Même les tâches administratives lui paraissent plus agréables, dit-il à la blague.

Si Louis Cartilier parle avec autant de franchise, c'est qu'il estime le problème grave. "On est mal préparé pour enseigner et pour faire la gestion des ressources, admet-il. Un chercheur se consacre de nombreuses années à des études intenses; sa formation se fait très souvent en solitaire. Puis, dès que le postdoctorat est terminé, il se retrouve professeur alors qu'il n'a aucune ou pratiquement pas d'expérience dans ce domaine. De plus, il doit savoir gérer un laboratoire comme un gestionnaire d'entreprise."

Dominique Nancy



Chercheur et artiste

"La recherche est d'abord et avant tout un état d'esprit, estime Louis Cartilier, professeur à la Faculté de pharmacie. C'est lorsque l'esprit se sent le plus à l'aise qu'il a le plus de chances d'être créatif." Les deux passions de sa vie: la recherche et la musique.

Le jour, il travaille à l'Université. Le soir et la fin de semaine, c'est pour la famille et la musique! Après tout, rappelle ce dynamique père de deux filles, le compositeur russe Alexandre Borodine a aussi été toute sa vie professeur de chimie.

Lauréat du prix Joseph-Armand-Bombardier 1999, Louis Cartilier établit un parallèle constant entre l'activité de chercher et celle de composer. Selon lui, le chercheur et le compositeur doivent faire preuve de créativité, d'audace et de patience dans leur pratique.

Dès l'adolescence, il s'intéresse à la musique: rock progressif, glamour rock, etc. À l'âge de 18 ans, il se tourne vers la musique électronique et, avec une bande d'amis musiciens, forme un groupe. Zardoz connaîtra un certain succès avec son style un peu nouvel âge. La discographie du groupe compte deux albums, une cassette et deux compacts.

Âgé d'une quarantaine d'années, Louis Cartilier a étudié en Belgique, avant de venir faire son postdoctorat à l'Université de Montréal. Depuis, il s'est attaché à la ville et à sa culture latine, qu'il affectionne. M. Cartilier travaille à titre de professeur depuis une dizaine d'années.

Mais ce grand amateur de Ravel et de Mozart n'a pas délaissé pour autant la musique. Pour lui, elle est synonyme de liberté. Et la recherche? "Disons qu'elle n'est pas toujours libre et créatrice."

D.N.


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