FORUM - 15 MAI 2000

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Un virus mortel est à nos portes!

Le virus du Nil occidental, transmis par les oiseaux et les moustiques, provoque des encéphalites.

Daniel Martineau

Le virus du Nil occidental, qui a provoqué la mort de sept personnes l'an dernier à New York, pourrait franchir les frontières canadiennes cet été. Il s'agit d'un virus qui touche d'abord les oiseaux sauvages mais qui peut être transmis aux êtres humains par les insectes piqueurs.

"Il ne faut pas alerter la population, dit le vétérinaire Daniel Martineau, professeur au Département de pathologie de la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, mais les possibilités que ce virus parvienne jusqu'à nous sont réelles. En tout cas, il va falloir composer avec cette nouvelle maladie en Amérique du Nord."

Dans ce qui aurait pu être le scénario d'un film de série B mais qui est tout à fait authentique, une vétérinaire du Bronx a remarqué au mois d'août dernier plusieurs corneilles mortes gisant près de son lieu de travail. Intriguée, elle a fait faire des autopsies et a eu la surprise de sa vie. Les animaux étaient morts d'une encéphalite causée par un virus qui tient son nom de la source du célèbre fleuve égyptien. Depuis les années 1930, ce virus, qui s'apparente d'abord à la grippe avant de s'attaquer au système nerveux, a provoqué la mort de centaines de personnes.

Et pendant que les corneilles continuaient de succomber et que des chevaux de Long Island étaient aussi victimes d'une maladie semblable, les journaux ont fait état de plusieurs cas d'encéphalite dans les hôpitaux new-yorkais. Chez les humains, des tests sanguins ont révélé que 2000 personnes avaient développé des anticorps contre le virus sans nécessairement présenter de signes de la maladie. De ce nombre, 59 ont souffert de divers symptômes reliés à la "fièvre du Nil occidental" et 7 en sont mortes.

Durant cet épisode, 5000 corneilles, soit près de la moitié de la population totale de la métropole américaine, sont mortes; 17 autres espèces d'oiseaux, indigènes ou exotiques, ont été atteintes à des degrés divers.

Santé Canada veille
Le 13 octobre 1999, le Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada a diffusé un communiqué mentionnant que la progression d'une "épidémie d'encéphalites dans l'État de New York" faisait l'objet d'une attention particulière. Le communiqué précisait qu'un voyageur canadien âgé de 75 ans, résidant à Toronto, était mort d'une encéphalite peu après son retour d'un séjour à New York. Curieusement, ce communiqué semble avoir été ignoré des médias canadiens.

Après une incubation de 5 à 15 jours, le virus peut causer de la fièvre, des maux de tête, des douleurs musculaires, un oedème des noeuds lymphatiques ou des éruptions cutanées. Mais il peut aussi causer une inflammation mortelle du système nerveux. Jusqu'à maintenant, seules les personnes âgées ont succombé au virus.

En lançant une alerte de santé publique moins d'un mois après la découverte du premier cas, le gouvernement américain n'a pas tardé à réagir. Il a informé la population des meilleurs moyens de prévenir la dispersion du virus: éviter les activités de plein air le soir et à l'aube - quand les moustiques sont les plus actifs -, faire usage de répulsifs et détruire les lieux de reproduction des insectes partout où la chose est possible. Les autorités ont pris les grands moyens, publiant notamment des dépliants en neuf langues dans le quartier du Queens, fortement touché. Le Département de santé publique a également procédé à des arrosages d'insecticide par hélicoptère.

"Pour l'instant, signale le spécialiste de la faune de l'Université de Montréal, la dissémination du virus a été limitée à une zone de 120 km autour de la ville de New York. C'est-à-dire qu'on n'a pas trouvé de cadavres d'animaux atteints à l'extérieur de cette zone. Par contre, des oiseaux ont été 'testés positifs' jusqu'à Saratoga, soit à quelques kilomètres de la frontière canadienne."

Impossible de prédire
Dans un communiqué émanant du Centre québécois de la santé des animaux sauvages et de son équivalent canadien, le Centre canadien de pathologie faunique, les Drs Martineau et Ian Barker écrivent qu'il est "impossible à l'heure actuelle d'évaluer avec précision les risques pour la santé humaine puisque cette situation est sans précédent".

Pourtant, le virus est bien connu des microbiologistes. En 1937, en Ouganda, on a identifié pour la première fois ce virus chez une femme. Puis, dans les années 1950, on a rapporté de nouveaux cas chez des patients, des oiseaux et des insectes. Par la suite, on a pu suivre sa trace en Europe et, sous une forme légèrement modifiée, en Australie. En Algérie, en 1994, une cinquantaine de patients ont été diagnostiqués positifs et huit en sont morts. L'été dernier, c'était la première fois que sa présence était signalée en Amérique du Nord.

Le virus du Nil occidental est en réalité un arbovirus, c'est-à-dire qu'il se propage par piqûres d'arthropodes. Ceux-ci transmettent le virus d'un oiseau à un autre oiseau ou à un être humain. Plus de 43 espèces d'insectes ont été désignés comme porteurs potentiels. Le maringouin, bien connu des Québécois, est l'un d'eux. Peu de gens le savent, mais cet insecte ne meurt pas après avoir gonflé son abdomen d'hémoglobine. La femelle, seule à s'adonner à cette pratique, peut piquer jusqu'à cinq fois pour nourrir ses oeufs. Le virus passe ainsi d'un organisme à l'autre.

"Il y a 53 espèces de maringouins au Québec; à peine 3 ou 4 peuvent transmettre le virus aux humains", dit l'entomologiste Jean-Pierre Bourassa, de l'Université du Québec à Trois-Rivières. L'espèce Culex pipiens, responsable de l'épidémie à New York, est l'une d'elles. Mais ce n'est pas la plus commune. Quant aux mouches noires, abondantes dès le mois de mai dans plusieurs régions du Québec, on ignore si elles sont des vecteurs de la maladie.

M. Bourassa, qui vient de publier un essai visant à réhabiliter les insectes piqueurs dans le coeur des Québécois (Le moustique, par solidarité sociale, Boréal), ne s'inquiète pas outre mesure du virus du Nil occidental. Et ce n'est pas une petite épidémie qui va l'empêcher de croire que les moustiques sont essentiels à l'équilibre naturel. D'ailleurs, Culex pipiens n'est pas une espèce indigène. Elle est arrivée avec la colonisation et s'est adaptée aux milieux urbains. Les vieux pneus oubliés dans les ruelles sont des lieux de reproduction parfaits.

Cela dit, si le phénomène a semblé être circonscrit à une zone de la région métropolitaine de New York, et plus particulièrement au quartier du Queens, l'apparition du virus au Québec ne pourrait être qu'une question de temps. "New York, ce n'est qu'à 640 km d'ici, signale M. Martineau. Et une corneille peut voler sur une distance de 320 km dans une seule journée!"

Un virus peu virulent
Avec un taux de mortalité qui varie de 3% à 15% - le chiffre le plus élevé se rapportant aux personnes âgées -, le virus du Nil occidental n'est pas le plus ravageur des arbovirus. La fièvre jaune, beaucoup plus mortelle, est aussi un arbovirus. Seules les personnes déjà affaiblies sur le plan immunitaire souffrent de complications. Parmi les personnes atteintes, les adultes sont en règle générale plus affectés que les enfants.

M. Martineau tient à souligner que tout oiseau trouvé mort devrait être signalé au plus proche bureau de la Société de la faune et des parcs du Québec, le nouveau nom du ministère de l'Environnement et de la Faune du Québec. Des échantillons seront envoyés à la Faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal ou à un laboratoire autorisé du gouvernement du Québec afin de déterminer si les lésions ont pu être causées par le virus du Nil occidental.

Côté prévention, Santé Canada a imité le Center for Desease Control and Prevention des États-Unis en suggérant aux Canadiens d'"éviter les piqûres de moustiques", surtout s'ils voyagent dans l'État de New York. On leur conseille de "demeurer dans des endroits bien protégés par des moustiquaires ou des endroits complètement fermés et climatisés", de "porter des vêtements aux couleurs pâles, recouvrant complètement les bras et les jambes" et enfin d'"appliquer un insectifuge sur les endroits cutanés exposés".

Si le virus franchit la frontière, ce sera une autre histoire...

Mathieu-Robert Sauvé


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