FORUM - 1ER MAI 2000

[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Opinions]


Phytoplancton et horloge biologique

Les études du biologiste David Morse pourraient avoir des retombées en chronobiologie,en biotechnologie et en thérapie génique.

Par des techniques de biologie moléculaire et de biochimie, le professeur David Morse tente d'établir le mécanismerégulateur de l'expression de la photosynthèse chez le phytoplancton afin de pouvoir expliquer le fonctionnementcentral de l'horloge biologique.

L'étude d'un organisme unicellulaire qui vit au fond des océans pourrait nous renseigner sur l'horloge biologique humaine. C'est du moins l'avis de David Morse, professeur au Département de sciences biologiques.

Dans son laboratoire de biologie cellulaire, le chercheur étudie un phénomène étrange: des algues marines de la catégorie des "dinoflagellés" anticipent le lever du soleil. La nuit, on les retrouve dans les profondeurs des mers et le jour elles refont surface pour capter la lumière.

"Les nuées qu'émet le phytoplancton font penser aux lucioles, commente-t-il. Comme des paillettes animées, elles laissent des traînées de lumière au-dessus des eaux lorsque celles-ci s'agitent." Quand le professeur tient dans ses mains une fiole d'algues microscopiques, il est toujours un peu poète. Il y a de quoi. Grâce à une forte concentration de cellules (environ 10 000 par millilitre), la réaction lumineuse est fabuleuse.

David Morse était loin de se douter qu'en menant des recherches sur ces algues il ferait une découverte majeure. Le directeur du Laboratoire de biologie cellulaire devrait publier prochainement les résultats de ses études dans la revue scientifique Proceeding of National Academy of Sciences. L'article, écrit avec Nasha Nassoury, étudiante au doctorat au Département, et un autrecollaborateur de l'Université de l'Arizona, démontre qu'on ne peut plus se fier au contrôle de l'expression d'un matériel génétique afin de comprendre le comportement des organismes.

Nasha Nassoury, étudiante au doctorat au Départementde sciences biologiques

L'histoire d'une découverte
La substance protéinique nommée "rubisco", enzyme qui joue un rôle important dans les rythmes biologiques (chronobiologie) de la photosynthèse des dinoflagellés, se trouve normalement dans les cellules anaérobies. Ces organismes effectuent la photosynthèse sans produire d'oxygène.

Comment expliquer la présence de la "rubisco" anaérobie dans les chloroplastes? Pour David Morse, ce phénomène demeure mystérieux. Car la fonction des chloroplastes, cellules végétales colorées par la chlorophylle et siège de la photosynthèse, est justement de produire de l'oxygène. C'est d'ailleurs en voulant éclaircir ce mystère que le chercheur a noté que la distribution de la protéine dans la cellule n'était pas la même selon l'heure.

"Le jour, période au cours de laquelle la production de l'oxygène et la fixation du dioxyde de carbone sont très élevées, la 'rubisco' est distribuée seulement dans une partie du chloroplaste. La nuit, lorsque le phytoplancton ne peut synthétiser l'oxygène, la substance protéinique se retrouve partout dans le chloroplaste."

À partir de cette observation, David Morse comprend que la concentration de la "rubisco" à un endroit précis dans le chloroplaste permet à la cellule de fixer le dioxyde de carbone, même en présence de l'oxygène qui est synthétisé ailleurs dans le chloroplaste.

La lumière reste-t-elle le synchronisateur des rythmes? "Oui, répond David Morse, mais ceci n'indique pas que les rythmes de notre horloge sont déterminés par l'environnement solaire. Ils sont déterminés biologiquement. Toutefois, ils ne sont pas liés à l'expression d'un gène, mais plutôt à un contrôle dans la distribution des protéines." On pourrait croire que cela est sans grande importance. Il n'en est rien. De fait, la découverte dépasse les retombées probables en chronobiologie. Elle pourrait avoir des répercussions en biotechnologie et en thérapie génique.

Photosynthèseet bioluminescence
Le soleil communique aux organismes l'énergie dont ils ont presque tous besoin. Mais les cellules ne peuvent pas utiliser directement la lumière: celle-ci doit être transformée en énergie chimique. Ces réactions énergétiques dans les cellules équivalent, dit-on, à des transferts d'électrons entre molécules.

"Par la photosynthèse, le phytoplancton absorbe l'énergie solaire et convertit le dioxyde de carbone atmosphérique en glucides, précise David Morse. La fixation du carbone est l'un des mécanismes les plus fondamentaux de la vie sur la terre. La réaction biochimique nécessite toutefois la participation de la 'rubisco'."

Dans le cas de la bioluminescence, c'est la "luciférine" qui est à l'origine de la lumière et de la couleur. Sous l'effet d'un enzyme nommé "luciférase", la substance subit une oxydation qui produit une luminescence pareille à celle de certains insectes.

Le chercheur se doutait depuis longtemps que la synthèse des deux substances (luciférine et luciférase) était réglée sur le plan de l'expression génique. Mais la façon de le prouver n'avait rien de simple. Par des techniques de biologie moléculaire et de biochimie, il parvient à démontrer que la synthèse a lieu sur le plan de la traduction. "Autrement dit, la synthèse des protéines contrôle le processus de bioluminescence", signale David Morse.

C'était en 1989. À cette époque, le dynamique père de trois enfants terminait son postdoctorat à l'Université Harvard. Dix ans plus tard, il découvre, en collaboration avec deux autres chercheurs, le mécanisme expliquant le rythme de la photosynthèse.

Il reste à voir dans quelle mesure on pourra appliquer ces découvertes à l'humain. Comprendra-t-on, un jour, le fonctionnement de l'horloge biologique? "On connaît encore peu de choses des mécanismes biologiques de ce chronomètre endogène, affirme David Morse. Mais les récentes découvertes dans le domaine laissent croire que rien n'est impossible."

Dominique Nancy


Du phytoplancton toxique pour l'homme

Si l'odeur nauséabonde des algues marines est gênante pour les riverains, la plupart des 5000 espèces de phytoplancton sont inoffensives pour la santé humaine, indique David Morse, professeur au Département de sciences biologiques. Par contre, une cinquantaine peuvent être toxiques et même mortelles pour l'homme.

"Elles empoisonnent les poissons et les crustacés, qui deviennent alors dangereux pour les consommateurs, soutient le biologiste. La plupart du phytoplancton toxique est constitué d'organismes unicellulaires appelés 'dinoflagellés'." M. Morse sait de quoi il parle. Depuis une dizaine d'années, il utilise pour ses recherches ce type d'algues microscopiques. Les algues que le chercheur privilégie ne sont pas nocives: elles assurent une importante production des sucres dans les mers et, par conséquent, contribuent à la survie de plusieurs espèces.

Reste que certaines variétés de "dinoflagellés" s'attaquent au système nerveux ou aux tissus des poissons, explique le professeur. D'autres libèrent leurs toxines directement dans le milieu marin. C'est le cas de la Pfiesteria piscicida, qui a ravagé un estuaire du Maryland, aux États-Unis, en 1998. Des milliers de poissons sont morts et plusieurs personnes ont été gravement empoisonnées.

D'autres espèces de phytoplancton produisent des toxines intracellulaires qui s'accumulent dans la glande digestive des moules, des coquilles Saint-Jacques, des coques, des palourdes et des huîtres. Selon le pharmacotoxicologue Guy Sanfaçon, directeur administratif du Centre anti-poison de Montréal, les symptômes d'une intoxication peuvent apparaître en moins de 30 minutes après l'ingestion: troubles respiratoires, vertiges, nausées, diarrhées, amnésies, arrêts cardiaques et paralysies pouvant être mortelles. "La gravité de l'intoxication dépend de la concentration des toxines et non de la quantité de mollusques ingérés, dit-il. Dans certains cas, même le bouillon peut s'avérer toxique."

D.N.


[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Opinions]