FORUM - 10 AVRIL 2000

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"Je ne suis pas un intellectuel de la science politique."

Bernard Landry en a long à dire sur la communication et la politique.

"Je ne suis pas un intellectuel de la science politique, estime le vice-premier ministre du Québec, ministre des Finances et député de Verchères à l'Assemblée nationale, Bernard Landry. Je me sens un peu comme un médecin de campagne invité dans une faculté de médecine."

Dernier conférencier de l'année du cours "Communication politique et opinion publique", donné par Richard Nadeau, M. Landry a répondu de bon coeur aux questions des étudiants après avoir prononcé une allocution d'une vingtaine de minutes. Durant cette allocution, le conférencier de marque a retracé brièvement ses débuts en politique afin de faire comprendre que le Québec a fait du chemin depuis 1960, année de sa première campagne électorale. Pour celle-ci, le slogan des libéraux de Jean Lesage était "C'est le temps que ça change", a rappelé le vice-premier ministre. "C'était le temps, oui, autant pour le garagiste du coin que pour l'ensemble de la population. Le favoritisme était une tradition fortement ancrée dans les moeurs politiques."

Il y a eu, à partir de l'élection de "l'équipe du tonnerre", une épuration des pratiques tolérant les caisses occultes des partis et la corruption larvée. Une fonction publique indépendante du pouvoir a aussi vu le jour. Ce mouvement a culminé avec l'adoption de la Loi sur le financement des partis politiques, une initiative de René Lévesque. En limitant à 3000$ la contribution maximale d'une entreprise à un parti politique, le favoritisme devenait beaucoup plus difficile à maintenir. "Le Québec est entré avec cette loi dans les nations les plus éthiques du monde", affirme Bernard Landry.

Éthique et politique
Le terme "éthique" est d'ailleurs revenu fréquemment dans la présentation de M. Landry. Les adversaires politiques des souverainistes ont, selon lui, manqué d'éthique en enfreignant les règles démocratiques dès le célèbre "coup de la Brinks" et jusqu'à la "manifestation d'amour" de la dernière campagne référendaire. "En cachant des dépenses reliées à cette campagne, le Canada n'a pas joué les règles, l'éthique et la loi, dénonce M. Landry. À ses yeux, la fin justifiait les moyens."

Pire encore, des magistrats ont siégé pendant des nuits entières pour permettre un afflux supérieur d'immigrants en attente du statut de résident, qui donne le droit de vote. Une telle action n'est pas illégale; elle est pourtant peu éthique...

Cela dit, en tout juste 20 ans d'histoire, le mouvement souverainiste est passé du "comble de la marginalité" à une "option politique respectable" soutenue par de grands partis. Le conférencier a rappelé que les premiers militants sont partis de très loin. "J'en ai fait du porte-à-porte et des assemblées de cuisine. René Lévesque et Jacques Parizeau faisaient pareil dans les années 1970."

Même si l'option en venait à disparaître de l'agenda politique, M. Landry estime qu'elle aura stimulé une participation record à l'exercice de la démocratie. "Plus de 95% de la population a exercé son droit de vote au dernier référendum. On vote plus au Québec que dans un pays comme la Belgique, où le vote est obligatoire!"

Questions agressives, SVP
"J'attends vos questions. Ne vous gênez pas. Des questions agressives, j'en reçois pendant trois quarts d'heure tous les jours", a dit l'invité du jour.

Cette invitation a amusé les étudiants, qui n'avaient visiblement aucune intention de chahuter le vice-premier ministre, accueilli avec chaleur. Un étudiant a voulu savoir s'il approuvait l'idée de l'élection proportionnelle, un autre si les sommets étaient véritablement utiles.

La question la plus embarrassante est venue du politologue Denis Monière, à tu et à toi avec le député de Verchères puisque les deux hommes se côtoient depuis 35 ans. Elle portait sur la crise du militantisme. S'il y a crise, a répondu M. Landry, elle est due aux victoires de la démocratie. "Quand les choses sont manichéennes, quand les patrons exploitent les travailleurs dans les mines de charbon comme dans Germinal, il est facile de choisir son camp. C'est plus difficile quand des programmes sociaux protègent les travailleurs, que l'accès aux soins de santé est universel, etc."

Cette crise est-elle compensée par les débats médiatiques? M. Landry ne porte pas les journalistes dans son coeur, lui qui affirme avoir été piégé par l'affaire des 871 millions "cachés" dans un compte de Toronto. "Non seulement nous n'avons pas caché cette somme, mais nous en avons fait une campagne de presse. Vous vous souvenez peut-être de l'annonce dénonçant les sommes reçues par l'Ontario, symbolisées par un gros sac d'épicerie, comparativement à un petit sac (871 millions) pour le Québec."

M. Landry a suggéré aux étudiants de lire Les oiseaux de malheur, d'André Pratte, qui dénonce précisément la vacuité des médias et la paresse intellectuelle des journalistes. Lecture pertinente pour un cours de communication politique...

L'homme fort du gouvernement est reparti comme il était arrivé, sous les applaudissements de ses hôtes. La visite de M. Landry était la dernière d'une série de rencontres avec des personnages publics dans le cadre d'un cours du baccalauréat bidisciplinaire en communication et politique. Les étudiants ont pu ainsi interroger Bernard Lord, premier ministre du Nouveau-Brunswick, Jean-François Lisée, auteur, Pierre-Karl Péladeau, homme d'affaires, et le vice-premier ministre du Québec.

Mathieu-Robert Sauvé


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