FORUM - 10 AVRIL 2000

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Le génome humain n'est pas à vendre!

Bartha Maria Knoppers participe à la relance de la recherche en génétique au Canada.

"Pour réaliser les promesses des recherches [en génétique], l'accès aux données fondamentales sur le génome humain, incluant les séquences d'ADN humain et leurs variations, doit être assuré gratuitement aux scientifiques du monde entier", déclaraient par voie de communiqué, le 14 mars dernier, Bill Clinton, président des États-Unis, et Tony Blair, premier ministre britannique.

Quelques heures après la diffusion, à Londres, de cette déclaration qui affirme pour la première fois le caractère public du génome humain, des entreprises de biotechnologie comme Celera Genomics et Incyte Pharmaceuticals ont vu leurs titres chuter en Bourse, provoquant une baisse marquée du Nasdaq, l'indice où sont évalués les grands noms de la haute technologie. Ces entreprises, qui souhaitaient breveter des gènes humains, n'avaient plus la cote auprès des investisseurs.

"Ils n'ont pas lu la déclaration jusqu'au bout, commente Bartha Maria Knoppers, professeure à la Faculté de droit et chercheuse au Centre de recherche en droit public. S'ils l'avaient fait, ils auraient constaté que MM. Clinton et Blair poursuivent en disant que 'la protection intellectuelle des procédés à partir des gènes humains jouera un rôle important dans la mise au point de nouveaux produits pour la santé'."

En d'autres termes, les chefs d'État n'ont pas été naïfs au point de s'en tenir à la philosophie de la libre circulation des idées. Ils devaient donner une assurance aux chercheurs tout en encourageant les entreprises à continuer de croire en la génétique. Bref, il n'y avait pas de quoi paniquer.

D'ailleurs, durant les jours qui ont suivi, le Nasdaq est remonté et les entreprises de biotechnologie ont pu respirer un peu. Mais cela démontre bien que le climat est tendu dans le domaine nouveau et incertain de la génétique, où de nombreux spéculateurs s'aventurent sans même connaître les lois de Mendel.

Flambée médiatique utile
"Cette flambée médiatique aura eu le mérite de dévoiler au grand public la présence très active de l'industrie dans la recherche en génétique", explique Mme Knoppers. Par ailleurs, cette initiative aura peut-être permis d'éviter la paralysie des recherches. Si une entreprise comme Celera Genomics, qui prétend avoir décodé 97% du génome humain, avait eu le feu vert pour breveter les gènes, quel chercheur indépendant aurait voulu y travailler? demande Mme Knoppers. Bien que les recherches aillent bon train, le décryptage de cet immense code est loin d'être terminé et exige la collaboration mondiale des scientifiques. Ce n'est pas le temps de diviser les chercheurs.

"Le génome humain n'est pas à vendre, rappelle Mme Knoppers, qui préside le Comité d'éthique de la Human Genome Organization. Il est dans l'intérêt public qu'il s'effectue une recherche publique."

Cela dit, la crise des finances publiques un peu partout en Occident a forcé les chercheurs à se tourner vers des partenaires privés. Dans un article paru le 17 décembre dernier dans la revue Science, Mme Knoppers dénonçait les conflits d'intérêts potentiels que cette situation pouvait occasionner: "Parce que les établissements font face à des situations de conflit d'intérêts, il vaut mieux adopter une loi qui fixera des standards de qualité forçant les établissements locaux, publics et privés à adopter des mesures et des mécanismes de surveillance éthiques."

Rappelons qu'au Canada le droit est pour ainsi dire muet sur ces questions.

Génome Canada/Génome Québec
À son dernier budget, le ministre fédéral des Finances, Paul Martin, a accordé 160 millions à Génome Canada. La création de cet organisme marque le retour du Canada dans la recherche internationale en génétique. "Depuis 1995, à cause des nombreuses compressions dans le secteur de la recherche et du développement, le Canada avait semblé abandonner la course, explique Mme Knoppers. Aujourd'hui, on peut dire qu'il est de retour."

L'absence apparente des chercheurs canadiens ne signifiait pas que les spécialistes de la génétique étaient inactifs. Mais à défaut d'une organisation nationale structurée, ils semblaient exclus du projet Génome humain, dont les leaders sont les Américains, les Japonais et les Français.

La création de Génome Canada a été suivie de peu, quelques semaines plus tard, par Génome Québec. Aux millions de Paul Martin s'ajoutera un budget, encore indéterminé (mais qui devrait totaliser quelques dizaines de millions de dollars), pour la création d'un centre de haut calibre. L'annonce de cette nouvelle structure de recherche sera faite sous peu par le ministre québécois de la Recherche, de la Science et de la Technologie, Jean Rochon.

Mme Knoppers, qui a joué un rôle actif dans la création de ces organismes, a déjà le regard tourné vers un autre de ses projets qui démarrera sous peu: Génétique et société. Il s'agit d'un centre qui regroupera toute l'information disponible en génétique en ce qui concerne l'éthique et le droit. Génétique et société sera géré à partir du Centre de recherche en droit public.

Par ailleurs, la bioéthicienne de réputation mondiale organisera un colloque durant le congrès de l'ACFAS qui portera sur la commercialisation et la recherche en génétique humaine.

Mathieu-Robert Sauvé


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