FORUM - 20 MARS 2000 

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Publicité, société et manipulations

La première pièce d'un étudiant des HEC met à l'affiche de jeunes talents prometteurs.

Après une maîtrise en philosophie à l'Université de Montréal, Pierre-Olivier Pineau entreprend aux HEC un doctorat sur la déréglementation des marchés d'électricité. Malgré l'exigence de ses études, il trouve le temps d'écrire pour le théâtre: sa première pièce est présentée comme "un drame loufoque sur les manipulations".

Pierre-Olivier Pineau voulait d'abord parler de la folie. Mais le jeune auteur s'est vite rendu compte que ses personnages l'emmenaient ailleurs. Il les a suivis... "L'omniprésence de la publicité dans notre société et le pouvoir des dirigeants d'entreprise m'ont amené à explorer plutôt le thème des manipulations. Celles des organisations sur les personnes et des humains sur leurs semblables."

Voilà le sujet de la première pièce de théâtre écrite par Pierre-Olivier Pineau, étudiant au doctorat à l'École des Hautes Études Commerciales (HEC). Elle s'intitule Entrevoir. À l'affiche du 29 février au 11 mars derniers au Monument-National, la création mettait en scène un récit aux accents orwelliens.

Un individu nommé Sarto (Pascal Patenaude) est contraint de placer une mystérieuse boîte blanche, dont la particularité est de pouvoir programmer le cerveau des gens qui s'en approchent, dans les bureaux de l'Office des vérifications, une organisation mandatée pour certifier la qualité des produits, des normes et des idées. Sarto sera aidé par la sulfureuse Enka (Josée Gagnon), qui est prête à tout pour se trouver un emploi, et l'optimiste Akeen (Violaine Paradis), employée de l'Office. Mais rien n'est facile dans la vie et le trio devra déjouer deux fonctionnaires fantaisistes (Nathalie Costa et Michel Lavoie) avant de parvenir à ses fins.

Une trame narrative plutôt classique, à la fois louée et critiquée par la presse, qui dénonce les failles du système. Mais il ne suffit pas de se révolter; encore faut-il le faire avec du coeur au ventre. C'est ce manque de sensibilité qui a rebuté la critique. En revanche, l'intelligence des dialogues de Pierre-Olivier Pineau et le potentiel des jeunes comédiens ont été remarqués. La mise en scène (Julien Blais), la scénographie (Étienne Proulx) et la musique (Stephen de Oliveira) ont également suscité des propos élogieux.

Un défi relevé
Malgré tout, cette quatrième production du Théâtre de l'abysse représente un succès aux yeux des membres de la troupe. "Les commentaires des spectateurs nous le confirment, signale Pierre-Olivier Pineau. Et c'est sans compter l'apprentissage qu'on a fait sur les plans de la création et de la gestion."

Pour Stephen de Oliveira, étudiant à la Faculté de musique, cette expérience pratique faisait d'ailleurs partie d'un travail crédité. L'environnement sonore, d'inspiration techno, qu'a créé le musicien nous entraîne dans un univers futuriste et sert bien la scénographie minimaliste.

C'est Étienne Proulx, étudiant en gestion des organismes culturels aux HEC, qui a conçu les décors. Le tout se compose de grillages métalliques sur roulettes et d'une soixantaine de cubes blancs d'environ 1,25 m chacun. Ces cubes à usages multiples et constamment en mouvement, grâce à une habile mise en scène, meublent l'espace et accentuent le côté surréaliste de ce "drame loufoque".

À noter la contribution technique dans l'élaboration des décors de Jean-Pierre Proulx, professeur à la Faculté des sciences de l'éducation et auteur du rapport Proulx sur la place de la religion à l'école. "Les blocs devaient à la fois être légers, pour pouvoir être déplacés facilement, et assez solides pour supporter le poids d'un acteur. M. Proulx nous a conseillés et même aidés à couper et à assembler les matériaux", tient à souligner Pierre-Olivier Pineau.

C'est grâce à l'acharnement de la troupe, à l'aide de bénévoles et au soutien financier de quelques commanditaires que la pièce a pu être montée. "Nous visons l'expérience ludique, reprend l'étudiant, mais nos projets sont ambitieux. Cela n'est pas toujours évident puisque nous sommes un organisme à but non lucratif qui n'a encore reçu aucune aide du Conseil des arts."

De nombreuses autres difficultés surgissent sur le chemin des jeunes troupes théâtrales. Le simple fait de vouloir se produire dans une salle susceptible d'attirer les médias peut devenir un véritable casse-tête. "Le milieu est féroce, déclare Pierre-Olivier Pineau. Heureusement, le Monument-National a une politique différente et offre un soutien à la relève."

L'histoire de l'Abysse
En 1996, trois jeunes hommes (Pierre-Olivier Pineau, Julien Blais et Michel Daviau) ont réuni leur talent et leurs rêves pour créer les Verbologistes associés, dont le nom est porteur de sens puisque la bande éprouve le besoin de communiquer.

"Nous cherchons à véhiculer une vision lucide de la comédie sociale moderne pour tenter de la rendre plus ouverte, plus tolérante, plus humaine. Ce rôle nous transforme à l'occasion en haut-parleurs hurlants, mais nous savons aussi murmurer. C'est parfois ce qu'il faut pour dénoncer les atrocités les plus criantes", peut-on lire dans la description de la mission de cette troupe de théâtre.

Les Verbologistes associés exploitaient déjà ce qui fera la force du Théâtre de l'abysse: l'esprit d'innovation et l'ambition dont sont animés les créateurs. Inspirés par la commedia dell'arte, ils intègrent la danse et la musique dans leurs productions artistiques et portent une attention particulière aux costumes, aux décors et à la mise en scène. "La stratégie de ce théâtre, souligne Pierre-Olivier Pineau, est d'abord de divertir le public. Nous explorons l'absurde et refusons le confinement aux lieux traditionnels." L'Abysse monte donc tantôt sur de vraies planches et d'autres fois descend dans la rue.

L'aventure démarre avec L'avènement des Godorhineaux, une pièce qui rappelle Beckett et Ionesco. La troupe se produit alors à maintes reprises au café Le Délire, sur le Plateau-Mont-Royal. Le Festival de théâtre amateur de Brigham fournit le prétexte à une autre prestation. L'équipe rafle quatre prix, dont celui de la meilleure production et celui de la meilleure mise en scène.

Dès leur retour à Montréal, les artistes jettent les bases d'un autre spectacle: Les maux dits. Les mots de Pierre-Olivier Pineau sont interprétés dans des bars par des comédiens placés sous la direction vigilante du metteur en scène Julien Blais. Au cours de l'année suivante, l'Abysse se promène d'une salle à l'autre pendant que Michel Daviau écrit D'âpres hostilités. Cette pièce est jouée pendant le Festival de la rue Duluth et est présentée au Centre d'essai de l'Université de Montréal.

La troupe a depuis le vent dans les voiles. Elle entame le nouveau millénaire avec Entrevoir. Pierre-Olivier Pineau, qui n'avait alors écrit que des chansons et quelques textes interprétés dans les bars, trouve émouvant de voir ses personnages incarnés par des comédiens de la trempe des interprètes d'Entrevoir. Lui aussi est déjà monté sur les planches, mais aujourd'hui le jeune homme de 28 ans prétend qu'il en serait incapable. "Pas après avoir vu la différence entre le jeu de comédiens amateurs et celui des acteurs qui ont donné l'émotion à Entrevoir."

Mais le jeune auteur a plusieurs autres projets en préparation. À noter: Dynamaux, un recueil de 13 chansons composées par l'étudiant, sera interprété, le 13 avril prochain, par Ian Fournier et ses musiciens au Petit Campus, situé rue Prince-Arthur.

Dominique Nancy


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