FORUM - 20 MARS 2000L'augmentation du prix de l'essence sauve des vies!Marc Gaudry et Abraham Hollander lancent l'Agora Jules-Dupuit.
L'augmentation du prix de l'essence, que subissent les automobilistes québécois depuis quelques semaines, sauve des vies. C'est du moins l'opinion de Marc Gaudry, l'un des spécialistes des transports les plus réputés au pays. "C'est facile à comprendre, explique-t-il. Lorsque le prix de l'essence grimpe, les gens prennent moins leur voiture ou diminuent sensiblement leur vitesse sur les routes. Résultat, il y a moins d'accidents..." Imperceptible à petite échelle, cette modification du comportement humain prend tout son sens lorsqu'on la multiplie par quelques millions d'individus. "La création d'une taxe sur l'essence du gouvernement Parizeau a certainement fait beaucoup pour la prévention des accidents d'automobile", dit en souriant le professeur Gaudry. Bienvenue dans le monde de la microéconomie. Cette branche des sciences économiques, dont on attribue la création à l'ingénieur et théoricien français Jules Dupuit (1804-1867), permet d'analyser les tendances économiques à partir du comportement des individus. Ainsi les élus et les hauts fonctionnaires disposent de prévisions et peuvent mieux gérer les politiques publiques. M. Dupuit travaillait dans le secteur des ponts et chaussées, mais le système qu'il a mis en place s'applique à l'ensemble de l'activité humaine. Quand M. Gaudry et son collègue Abraham Hollander, lui aussi professeur au Département de sciences économiques, ont cherché un nom pour le groupe de recherche qu'ils ont formé afin d'étudier l'économie du transport, c'est tout naturellement vers Jules Dupuit qu'ils se sont tournés. Le groupe international, disposant d'un budget considérable de cinq millions de dollars pour les cinq prochaines années, s'appellera l'Agora Jules-Dupuit. Pourquoi "agora"? "Nous cherchions un terme qui ne fasse pas trop 'blouse blanche'", répond M. Gaudry. Pionnier et visionnaire M. Gaudry, qui a lu cet ouvrage et invité personnellement son auteur, signale que l'économiste français a été un véritable visionnaire à une époque où la profession commençait tout juste à exister. "Jules Dupuit a été le premier à dire que la valeur d'une chose dépend de l'attachement qu'on lui porte. Ainsi, dans un article qui a fait date, il a expliqué que les gens étaient prêts à payer plus cher leur passage sur un pont s'ils considéraient que cela en valait la peine. Les économistes ont appelé ce phénomène l'utilité. Les psychologues parleraient plutôt de plaisir." Cette théorie de la valeur des biens, dévoilée en 1844 dans la revue de l'Association d'économie politique, a connu beaucoup de succès jusqu'à nos jours. Mais Jules Dupuit est également l'auteur d'une théorie beaucoup moins célèbre mais tout aussi pertinente, portant sur la régulation des monopoles. "Doit-on surveiller une entreprise publique jouissant d'un monopole? Comment? Cette question est au coeur de l'État depuis un siècle. On n'a qu'à penser aux chemins de fer, à l'électricité." Jules Dupuit croyait qu'il fallait laisser le marché fixer en bonne partie les règles du jeu. Aussi, s'il revenait en 2000 et constatait la déréglementation des secteurs de l'énergie et du transport aérien en cours en Amérique du Nord, il serait satisfait. Un centre de recherche international Le CRT n'a jamais cessé de croître et a aujourd'hui une excellente réputation tant dans le milieu universitaire que dans le secteur public. "Le transport, c'est 15% du produit intérieur brut", dit M. Gaudry. L'économiste est reconnu pour son expertise en sécurité routière, qu'il étudie depuis 30 ans. Il est fier, notamment, du modèle mis sur pied par la Société de l'assurance automobile du Québec. On peut, grâce à ce modèle, constater une amélioration constante de la sécurité routière. "Il y avait de 1000 à 2000 décès sur les routes du Québec en 1973. On en compte 800 aujourd'hui. Et, bonne nouvelle, il semble que la tendance à la baisse va se poursuivre." Plusieurs chercheurs du Canada et d'Europe travaillent à l'Agora Jules-Dupuit. Parmi eux, Richard Laferrière et Claude Marullo, de l'Université de Montréal, s'y consacrent à temps plein. Mathieu-Robert Sauvé |