FORUM - 13 MARS 2000 

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La police communautaire en région?

Le criminologue André Normandeau veut l'implanter à la grandeur du Québec.

André Normandeau défend l'idée de la police communautaire depuis plus de 15 ans.

En déclarant au Toronto Star, le 5 février dernier, que les représentants municipaux ne peuvent surveiller adéquatement leur service de police parce qu'ils ont souvent des "cadavres dans leurs placards", le criminologue André Normandeau a lancé une bombe qui a fait le tour du pays.

Pourtant, c'était là une histoire ancienne pour le professeur bien connu des milieux policiers (!). Il faisait référence à une étude menée en 1990 dans tout le Canada afin d'analyser la faisabilité de l'implantation de la police communautaire, son cheval de bataille depuis 15 ans. Au cours de rencontres individuelles avec 586 personnes, dont 80 maires de villes de plus de 50 000 habitants, M. Normandeau a posé la question suivante: "Combien d'heures par année passez-vous au conseil municipal à discuter du dossier de la police?" Réponse: une heure ou deux, le temps d'approuver les grilles de salaires.

"Les maires m'ont dit qu'ils n'osaient pas aller plus loin de peur de se rendre coupables d'ingérence dans le service de police. Mais implication ne signifie pas ingérence."

C'est durant ces entretiens que le chercheur a appris que plusieurs représentants municipaux étaient en position de conflits d'intérêts. Untel a été arrêté en état d'ébriété et son dossier a été effacé; tel autre a quelque chose à cacher dans sa vie privée... "Les services de police et les syndicats de police possèdent beaucoup d'information de nos jours... S'ils menacent de les utiliser contre des élus, il s'agit carrément de chantage", explique M. Normandeau.

Un projet de loi critiqué
A priori, cette dénonciation des zones d'ombre dans les services de police n'a rien à voir avec le projet de loi 86 (Loi sur la police), qui fait actuellement l'objet d'audiences publiques à la Commission des institutions de l'Assemblée nationale du Québec. Mais disons que l'affaire tombe à point. Le jour même de l'entrevue avec Forum, La Presse rapportait la réaction du ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard, à des propos de M. Normandeau parus la veille. Une journaliste avait demandé au criminologue si la Sûreté du Québec pouvait receler le même genre de conflits d'intérêts. "C'est théoriquement possible", avait répondu le criminologue.

En entrevue, le criminologue en rajoute. "Le rapport de la commission Poitras, que tous ont accueilli favorablement, recommandait qu'on crée une 'commission de contrôle' de la Sûreté du Québec où siégeraient de façon permanente des membres indépendants. C'est la seule des 175 recommandations de cette commission qui a coûté 20 millions aux contribuables à avoir été retenue. Et encore, c'est devenu un 'conseil de surveillance' non permanent, formé de membres bénévoles."

La Sûreté du Québec, dont l'autorité relève entièrement du ministre, fonctionne en quelque sorte comme une organisation autonome, et c'est regrettable, juge le criminologue. La police nationale devrait disposer d'un véritable conseil d'administration composé du ministre, de deux députés (l'un du parti au pouvoir, l'autre de l'opposition), du directeur, d'un policier de l'extérieur et d'un observateur indépendant (criminologue, sociologue ou autre). On peut penser que l'affaire Matticks, qui incriminait quatre dirigeants de la Sûreté du Québec, n'aurait pas été possible sous une telle administration.

M. Normandeau, qui n'a jamais caché ses sympathies souverainistes, a attaqué sévèrement le ministre Ménard sur cette question. "Je crois qu'il est de notre devoir, à titre d'universitaires, de demeurer critiques lorsque nous intervenons publiquement. Je crois que la solution de compromis du ministre est mauvaise, et il faut la dénoncer."

Une police communautaire régionalisée
Par ailleurs, M. Normandeau poursuit sa démarche visant l'implantation d'une police communautaire dans l'ensemble du territoire. "Il y a actuellement 125 services de police au Québec. Certains comptent des milliers d'agents, d'autres moins d'une dizaine. Pour des raisons d'efficacité logistique, il faudrait les regrouper. Nous pourrions en faire 17 d'après les grandes régions administratives."

Cela n'apparaît-il pas comme de la centralisation? Non, c'est de la police communautaire! L'Ontario, qui avait 200 services policiers en 1975, n'en compte plus que 50 aujourd'hui pour une populationde 12 millions de personnes.

Une police de quartier régionalisée permettrait une meilleure coordination des interventions ainsi que des réductions de coûts. Mais elle engendrerait surtout une philosophie différente. "Après Montréal, il y a de la place pour une police communautaire en région", dit André Normandeau.

Mais au fait, quel bilan fait-on de cette nouvelle police de quartier implantée dans la métropole québécoise? "Un bilan très positif, répond le professeur. Dans certains quartiers, comme Côte-des-Neiges, des représentants de groupes ethniques rencontrent les policiers chaque mois. Les agents organisent des activités de prévention dans les HLM et les parcs de la ville. Plusieurs autres activités sont organisées en collaboration."

Un récent sondage mené dans 43 quartiers de Montréal a révélé un taux de satisfaction de 86%. Seule frustration pour les policiers: le manque de temps pour mettre en oeuvre leurs actions.

Mathieu-Robert Sauvé


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