FORUM - 7 FÉVRIER 2000 

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Réflexions sur 50 ans de médecine

"Les médecins d'aujourd'hui manquent d'humanisme", selon le Dr Marcel Boulanger."

Le relâchement dans les moeurs, le langage, la tenue vestimentaire et la pratique médicale traduit une sorte de perte de civilisation, un affaiblissement de la fibre de l'être." C'est du moins l'opinion du Dr Marcel Boulanger, professeur de clinique à la Faculté de médecine et ancien directeur du Département d'anesthésie-réanimation.

C'est devant les membres de l'Association des professeurs et des diplômés de cette faculté que le Dr Boulanger a fait part, le 26 janvier dernier, de ses réflexions sur ses 50 années d'expérience en médecine. S'il s'est abstenu de donner des conseils, le Dr Boulanger n'a pas réservé son jugement sur certains aspects de l'évolution médicale. En témoigne le titre accrocheur de sa conférence: "Du médecin veston-cravate au médecin blouson-jeans".

"De nos jours, la maladie a plus d'importance que le malade aux yeux du médecin. Depuis son évolution vers la rationalité scientifique et la technicité, explique-t-il, la médecine ne reconnaît pour valides que les données objectives dans la compréhension de la pathologie humaine. L'expérience personnelle et la sensibilité du patient sont jugées négligeables parce qu'essentiellement subjectives."

Malheureusement, la médecine ne s'en tient pas à cette seule manifestation d'arrogance, selon le professeur. Le manque d'engagement dans les programmes de promotion de la santé en est un bel exemple. À dévaloriser ainsi ce champ d'action, on voit disparaître ce qu'il appelle la responsabilité. C'est cette constatation désabusée, affirme-t-il, qui a amené un cadre de l'Organisation mondiale de la santé à déclarer: "Derrière une opération cardiaque réussie, il y a 20 ans d'échec de prévention."

Nostalgie
Dès 1954, le Dr Boulanger s'est préoccupé de l'évolution de la médecine. À cette époque, le jeune médecin de famille croyait que tous les membres de sa profession étaient investis de science, de sagesse et de bonté. Cela n'allait pas tarder à changer.

"Jadis, le médecin, surtout celui de la campagne, était peu avare de son temps. Il savait écouter et conseiller. Mais de nos jours, le système d'éducation, avec son côté très compétitif, favorise en quelque sorte la perte de l'humanisme, déplore le Dr Boulanger. Un confrère me racontait d'ailleurs récemment que déjà, sur les bancs des écoles de médecine, les étudiants discutent des tarifs les plus rémunérateurs. Une très sérieuse réflexion s'impose, car toutes ces observations laissent présager un avenir plutôt sombre."

Le Dr Arthur A. Amyot, président de l'Association, se dit aussi préoccupé par le phénomène, mais ses propos sont un peu plus positifs. "Nous avons apporté des modifications au programme afin qu'une plus grande place dans l'enseignement soit accordée à l'aspect psychologique avec le patient. Mais l'accent est encore mis sur la portion biologique", admet-il.

D'après lui, l'espoir se trouve du côté des femmes médecins. Ce sont elles, assure-t-il, qui amèneront des changements dans la pratique médicale. D'ici là, rien ne sert de partir à la recherche du Dr Marcus Welby, personnage de la série télévisée américaine dans les années 1960 et 1970, il n'existe pas!

Le problème ne date pas d'hier. D'abord, il y a eu l'émergence du modèle syndical privilégié par tous, souligne le Dr Boulanger. Depuis, tout se renforce, sauf le lien social, constate-t-il avec nostalgie. Viendront ensuite les nombreuses réformes sociales. "L'instauration de l'assurance-maladie a changé radicalement le décor de la pratique médicale en assignant de nouveaux rôles à l'État et en transformant la structure administrative des hôpitaux, notamment."

Il apparaît également insensé aux yeux du Dr Boulanger qu'on ait si longtemps mis l'accent sur la prétendue gratuité des services de notre système de santé. "Ce système a profondément altéré la pratique quotidienne du médecin, soutient-il. Le médecin maintenant débordé par l'affluence des clients n'est accessible que sur rendez-vous. De plus, comme il faut faire vite, la qualité de sa communication avec le patient n'est pas toujours soignée; il a tendance à perdre patience."

L'incohérence du système
N'y a-t-il pas trop de gens qui vont voir leur médecin pour un simple reniflement? Le Dr Boulanger ne le croit pas. À Montréal, dit-il, l'affluence dans les urgences est liée en partie à l'absence de consultations auprès d'un médecin de famille. Les gens ne savent pas où aller lorsqu'ils ont besoin de soins; ils se rendent systématiquement aux urgences. "Faut-il s'étonner qu'elles soient pleines à craquer?"

Ce qui est aussi aberrant, ajoute le Dr Boulanger, c'est la façon dont fonctionne notre système. "Voici un bel exemple d'incohérence: un jeune homme en état d'ébriété prend le volant et n'attache pas sa ceinture. Il percute un poteau et est éjecté à travers son pare-brise. Son aventure lui coûte un oeil, un arrachement du plexus brahial avec paralysie permanente de son bras et de longs traitements de chirurgie esthétique. Et c'est notre système actuel qui prend en charge tous les frais, y ajoutant une indemnité à vie pour incapacité permanente!"

Cette conférence était la deuxième (la première a eu lieu le 8 décembre dernier avec le Dr André Roch Lecours) d'une série de huit rencontres organisées par l'Association des professeurs et des diplômés de la Faculté de médecine.

"La Faculté de médecine compte 1800 professeurs et 15 établissements, a rappelé le Dr Patrick Vinay, doyen de la Faculté. Par cette initiative, nous souhaitons mieux faire connaître les personnalités du domaine médical qui font partie de notre corps professoral. Ces rencontres, qui ont lieu en dehors d'un contexte professionnel, visent à favoriser le sentiment d'appartenance et à créer des réseaux d'échanges."

Dominique Nancy


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