FORUM - 7 FÉVRIER 2000 

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Le médecin à la barre

Mise sur pied d'un cours multimédia à la demande de la Société des médecins experts du Québec

Trois médecins experts en plein tournage du cours "Expertise en chirurgie": (de gauche à droite) Roméo Lafrance, François Sestier et Pierre Audet-Lapointe.

Un an après avoir subi une opération pour une hernie, un homme est-il en état de retourner au travail? Une femme qui a des douleurs à la suite d'une intervention chirurgicale gagnera-t-elle la poursuite intentée pour mauvaise pratique médicale? Un résultat positif à un test de prédisposition génétique justifie-t-il le refus d'un client à l'assurance-vie?

La plupart des médecins experts capables de répondre en cour à ces questions ont, jusqu'à tout récemment, été formés sur le tas. Mais un cours sur mesure, désormais offert par les facultés de Médecine et des Études supérieures de l'Université de Montréal, a été élaboré à l'issue d'un appel d'offres auprès de quatre universités québécoises. C'est la première fois au Canada qu'un tel programme est implanté.

Les quelque 800 médecins experts du Québec ont déjà commencé à exprimer leur intérêt pour cette formation offerte depuis le début du mois de janvier. Le responsable du microprogramme de deuxième cycle, François Sestier, affirme qu'il en a même été un peu surpris. "Je m'attendais à une vingtaine d'intéressés, dit-il. Nous avons eu 170 demandes d'admission, et 53 étudiants se sont inscrits."

Ce type de cours comble un besoin, car, comme le dit le Dr Roméo Lafrance, chirurgien qui compte une quinzaine d'années d'expérience à titre d'expert, "les médecins n'ont pas l'habitude du monde juridique; il leur est totalement étranger. Souvent, ils sont catapultés à la cour et ne savent pas comment bien rendre leur expertise."

En 1990, une étude menée par la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) avait révélé que 75% des expertises déposées en cour par les médecins étaient irrecevables. Les organismes qui ont souvent affaire à des experts, comme la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ou la SAAQ, ont voulu former leurs propres experts, mais on a vite constaté que cette formation pouvait susciter des conflits d'intérêts. La Société des médecins experts du Québec a donc fait appel aux universités.

Un expert objectif
"La plus grande qualité de l'expert, c'est d'être objectif, signale M. Sestier. Il doit très souvent rendre un avis qui met en cause un de ses confrères; c'est un travail très délicat."

Le Dr Pierre Audet-Lapointe, gynécologue oncologue d'expérience, signale qu'en France l'expert est engagé par le juge, alors qu'au Québec, ce sont les avocats qui présentent leurs experts. Il y a un danger de voir les experts servir leur cause. Le cours donné par l'Université de Montréal doit prévenir ce type de glissement.

Le Dr Lafrance explique que, dans les cas de poursuites pour erreur médicale, l'expert doit se baser sur une personne fictive qui aurait été à la place de l'accusé. Il s'agit d'un chirurgien diligent, compétent et habile, mais qui se classe dans la moyenne; ce n'est pas un être d'exception. "Il faut savoir si le médecin a agi selon les règles de l'art. Il ne faut donc pas le comparer avec un héros", explique l'expert.

L'expert est appelé à donner des avis en dehors de la cour. Le Dr François Sestier, par exemple, est un spécialiste de la médecine d'assurance et, à titre de directeur médical de la Croix-Bleue, il examine chaque jour des cas litigieux. "Quand on apprend qu'un homme considéré comme 'totalement invalide' a rénové sa maison de fond en comble, on peut dire qu'il y a fraude. Mais il existe des cas plus difficiles à trancher."

Une formule multimédia
Afin de joindre les personnes intéressées là où elles se trouvent, les responsables du cours ont choisi un support audiovisuel. Le cours est enregistré sur vidéocassette de façon à permettre au médecin de la visionner au moment qui lui convient le mieux. La période de questions se déroule en temps réel ou en différé, par Internet. Enfin, un atelier où tous les étudiants doivent se présenter a lieu durant le trimestre. Il est suivi d'un stage en milieu pratique.

"Pour le trimestre en cours, l'atelier aura lieu le 12 février, signale le Dr Sestier. Ce sera la première fois que nous rencontrerons nos étudiants. Nous savons que la plupart sont à Montréal, mais il y en a d'autres au Saguenay et sur la Côte-Nord."

Plus de 28 heures de cours ont été enregistrées au studio de la Direction des infrastructures technologiques d'enseignement et de recherche. Les professeurs invités ont été choisis selon leur expertise et plusieurs jouissent d'une excellente réputation: le juge Jean-Louis Baudoin, de la Cour d'appel du Québec, par exemple, ou encore la juriste Bartha Maria Knoppers et le bioéthicien David Roy.

La SAAQ et la CSST, de même que la Régie des rentes du Québec, ont financé ce cours à raison d'un budget de 350 000$. De plus, chaque étudiant doit payer 1500$ par bloc de deux cours. À l'issue des trois blocs (médecine d'expertise, médecine d'assurance et médecine légale), l'étudiant reçoit une attestation d'études.

Mathieu-Robert Sauvé


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