FORUM - 31 JANVIER 2000 

[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants]


La thérapie par l'art

Nadia Ferrara explique pourquoi cette approche a du succès auprès des autochtones.

Nadia Ferrara croit que l'art-thérapie est plus près de la pensée des autochtones.

La dépression, l'alcoolisme et les troubles de comportement sont souvent perçus comme une fatalité contre laquelle il semble impossible de lutter. Pourtant, au-delà des antidépresseurs et de la psychothérapie traditionnelle, la thérapie par l'art, tant préventive que curative, permet un peu d'optimisme.

"Cette forme de thérapie utilise l'art comme moyen d'expression des émotions. L'expérience de création, qui impose un dialogue intérieur, permet d'établir une relation entre le patient, l'art et le thérapeute, explique Nadia Ferrara, étudiante au troisième cycle en anthropologie. Il s'agit moins de comprendre mentalement toutes les significations de la création que de permettre à la personne de construire des représentations qui facilitent l'élaboration langagière."

Mme Ferrara s'est concentrée sur une clientèle particulière: les autochtones. Depuis l'obtention de sa maîtrise (une étude transculturelle sur l'art-thérapie qui a mené à la publication d'un ouvrage intitulé Emotional Expression among Cree Indians: The Role of Pictorial Representations in the Assessment of Psychological Mindedness), Nadia Ferrara a acquis une grande expertise dans le domaine de la thérapie par l'art auprès des communautés autochtones. Au point où elle est aujourd'hui appelée à se rendre régulièrement aux quatre coins de la province, de Kahnawake jusque dans le Grand Nord.

à Sioux Lookout, situé à 320 km au nord de Thunder Bay, on la surnomme même "The Healer" (la guérisseuse). Depuis qu'elle y donne des consultations, le taux de suicide a chuté considérablement. "Lorsque je suis entrée en contact avec cette communauté, j'ai eu un choc, raconte Nadia Ferrara. Une soixantaine d'autochtones m'attendaient par un froid terrible à côté de ma roulotte. Ce jour-là, j'ai fait de la consultation jusqu'à 10 heures le soir. La majorité de ces personnes disaient penser au suicide. Parmi elles, il y avait même des enfants âgés à peine d'une dizaine d'années! À ce moment, j'ai su pourquoi je m'investissais autant." L'approche de Nadia Ferrara consiste en une thérapie qui exploite l'expression artistique. Celle-ci peut être de divers ordres: dessin, peinture, danse, théâtre, etc.

Un exemple de création artistique réalisée par Tom, 38 ans, un patient cri souffrant d'alcoolisme.

Préjugés occidentaux
Pourquoi cette approche connaît-elle autant de succès auprès des autochtones? Il est naturel pour eux, contrairement aux Occidentaux, de s'exprimer par le non-verbal, répond la jeune femme de 32 ans. Selon cette Italienne d'origine, qui consacre sa thèse de doctorat à la question, la culture autochtone valorise l'imagerie et le silence alors que la nôtre nous dicte de parler de nos problèmes afin de mieux comprendre leurs causalités. "Cette différence d'attitude amène les thérapeutes à croire que les patients autochtones n'ont pas de parole pour exprimer leurs émotions", critique-t-elle.

C'était la perception qu'on avait de Luke, un jeune Cri âgé de neuf ans. Décrit comme un "bloc de glace", selon l'expression d'un thérapeute, Luke a été confié à Nadia Ferrara alors qu'elle effectuait un stage dans un centre de traitement résidentiel.

"Luke avait des troubles de comportement et un problème de surdité. 'Il n'y a rien à faire, m'a-t-on dit. Il ne communique pas'." Comment s'y est-elle prise? "Je lui ai simplement demander de me faire un dessin, raconte Mme Ferrara. Cela a permis de briser la glace. Comme par magie, Luke s'est mis à me parler. Il a sans doute cru que j'étais autochtone à cause de mes cheveux et de mes yeux noirs."

Chose certaine, cette rencontre a changé leur vie. Après deux ans et demi de thérapie par l'art, Luke a été jugé apte à retourner vivre avec son oncle dans le Grand Nord. "Il est aujourd'hui âgé d'une vingtaine d'années et, aux dernières nouvelles, il se porte très bien, signale Nadia Ferrara. C'est grâce à lui si aujourd'hui je travaille auprès des Amérindiens."

C'est que son succès avec Luke a suscité la curiosité d'Arnold Devlin, ancien directeur du Comité cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James, qui lui a demandé de se joindre à son équipe. Depuis 1990, l'anthropologue de terrain rend le contexte clinique plus accessible aux autochtones. "Ma motivation est d'aider les gens, mais je ne prétends pas que la médecine des Blancs a réponse à tous les maux."

Dominique Nancy


[Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants]