Voyage fantastique entre l'oeil et le cerveau

Christian Casanova: un neurophysiologiste en optométrie

Christian Casanova devant un ophtalmoscope. Son laboratoire a effectué une percée dans la compréhension du rôle du pulvinar.

L'été prochain, bon nombre d'entomologistes amateurs tenteront d'attraper un spécimen de l'insecte emblématique du Québec, le papillon amiral. Avant même que ces chasseurs n'amorcent le geste de lancer leur filet, tout un processus cérébral sera mis en branle presque à la vitesse de la lumière. Un processus qui transforme la réalité en influx nerveux, puis la recompose à l'intérieur du cortex occipital.

Christian Casanova, du Laboratoire de physiologie visuelle de l'École d'optométrie, ne s'intéresse pas aux papillons, mais il en a long à dire sur l'extraordinaire chemin que parcourt l'image captée par la rétine et transmise dans la boîte crânienne. "Étudier la vision, c'est étudier le cerveau", résume le chercheur dont les derniers résultats paraîtront sous peu dans la revue Nature.

Avant d'être analysée par notre fameuse matière grise ou cortex cérébral, l'image d'un papillon qui vole est d'abord transformée en signal nerveux par la rétine, puis transmise au cortex par une partie du thalamus le long de canaux spécialisés dans la forme, la couleur et le mouvement. Certains canaux passent par une région qu'on étudie depuis une vingtaine d'années tout au plus: le pulvinar. Une région que le chercheur a contribué à mieux faire connaître.

"Au début, explique-t-il, le pulvinar ne semblait être qu'un endroit de transit emprunté par l'influx avant qu'il se dirige vers le cortex occipital. Nous commençons à remettre cette idée en question. Le pulvinar serait plutôt un centre d'interprétation de l'image, en plus de jouer un rôle névralgique dans l'attention visuelle."

Un sens primordial
De nos jours, la liste des maladies neurodégénératives ne cesse de s'allonger et nous sommes encore dans ce que la communauté scientifique américaine a nommé la "Decade of the Brain".

Or, l'homo sapiens est une espèce très visuelle, rappelle Christian Casanova. "Nous ne nous promenons pas en ville le nez en l'air à l'affût des odeurs portées par le vent. Notre ouïe est également assez peu sensible comparativement à celle d'autres mammifères. Chez les primates, un tiers à la moitié de la matière corticale est affectée à la vision."

Le fulgurant développement des neurosciences depuis une vingtaine d'années a permis de mieux connaître les phénomènes complexes de la perception visuelle. C'est, de loin, le sens qui a fait l'objet du plus grand nombre de recherches par les spécialistes du cerveau. Mais le pulvinar semble avoir été oublié au passage... "L'intérêt de se consacrer au pulvinar, c'est que chaque découverte permet de comprendre davantage la fonction des canaux entre le thalamus et le cortex. Le désavantage, c'est que peu de chercheurs travaillent sur cette structure, ce qui fait que la progression est lente."

Dans le Laboratoire de physiologie visuelle de l'École d'optométrie, un animal de laboratoire regarde un écran où apparaît un stimulus visuel. Une sonde reliée à un ordinateur parvient à capter l'activité nerveuse d'une cellule localisée dans la région du pulvinar. "Cette sonde a le diamètre d'un micromètre, précise le chercheur, c'est-à-dire un millionième de mètre.

Sur un autre écran (plus exactement un oscilloscope), on voit une impulsion chaque fois que la cellule réagit au passage d'un point lumineux à l'écran, face à l'animal. L'ensemble des données recueillies permettra de tirer des conclusions sur le rôle du pulvinar dans l'analyse du mouvement, l'attention visuelle et la vision résiduelle.

Des travaux utiles
"Les travaux que nous menons ici pourront éventuellement être utiles au traitement de certaines affections", estime Christian Casanova, dont les travaux traitent aussi de la plasticité neuronale.

À la suite d'un accident cérébro-vasculaire ou d'une chirurgie, il arrive que des personnes souffrent de lésions qui ont des conséquences sur les fonctions visuelles. Lorsque certaines zones du cortex sont touchées, par exemple, une personne pourrait cesser de percevoir le mouvement. Elle serait alors incapable de se verser une tasse de café. L'image de la cafetière serait fixe, même si le liquide coule. Le phénomène serait identique si elle tentait de traverser la rue: l'automobile qui fonce vers elle paraîtrait immobile.

"Le pulvinar est l'une des régions les moins connues du thalamus, explique Christian Casanova. Elle était jusqu'à maintenant associée à l'attention visuelle. Nous avons démontré qu'elle est aussi grandement mise à contribution dans la perception du mouvement."

La recherche sur le cerveau touche autant les anatomistes que les neurologues, les neuropsychologues, les physiologistes, etc. C'est pourquoi le laboratoire de M. Casanova est engagé dans plusieurs réseaux de recherche de l'Université de Montréal: Groupe de recherche en neuropsychologie expérimentale et Centre de recherche en sciences neurologiques. Christian Casanova est aussi membre du Centre de recherche en gérontologie et gériatrie de l'Université de Sherbrooke. À l'échelle internationale, il est membre de l'International Brain Research Organization et de la Society for Neuroscience.

Ses expériences de travail à l'étranger, notamment à l'Université de Californie (Berkeley), lui auraient permis d'exercer son métier aux États-Unis. Il a préféré Montréal. Mais ce chercheur en neurosciences de renommée mondiale en a long à dire sur le financement de la recherche en santé au Canada. "La recherche fondamentale, ça coûte cher et ça ne rapporte pas tout de suite. Mais c'est la base de tout le reste. Financer cette recherche relève d'un choix de société."

Son laboratoire compte actuellement cinq étudiants (Lotfi Merabet, Alex Desautels, Jean-François Giguère, Odile Brosseau-Lachaine et Gino Coderre), un stagiaire postdoctoral (Mohammed Filali) et une assistante de recherche (Karine Minville).

Mathieu-Robert Sauvé