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Dieu chez les païens

Domenico Fasciano réhabilite les Romains et leur mythologie.

"Le mythe a été vidé de son sens positif et est considéré avec mépris dans le langage courant, déplore Domenico Fasciano, professeur au Centre d'études classiques. Il est devenu synonyme de fausseté alors qu'il est porteur de vérité et constitue le modèle de tout acte humain significatif."

Philologue et mythologue, Domenico Fasciano veut redonner à la mythologie ses lettres de noblesse, qu'elle a perdues dans la lutte apologétique que lui a livrée la pensée judéo-chrétienne. Dans un récent essai qui se veut "détaché de toute foi religieuse", Dieu chez les païens, il cherche à rouvrir "l'accès à la vérité que le mythe véhicule non seulement dans les sociétés dites classiques mais également dans celles qui les précèdent ou qui les suivent".

Mais c'est plus précisément la mythologie ou religion romaine que le professeur cherche à réhabiliter. "Les Romains ont toujours été maltraités et moins considérés que les Grecs dans les recherches internationales, souligne-t-il. Les Européens leur en veulent encore à cause de la domination qu'ils ont exercée lors de l'empire. J'ai voulu aller aux sources et vérifier ce qu'était vraiment la civilisation de mes ancêtres."

Mythe et religion
Domenico Fasciano a découvert que leur mythologie n'avait rien à envier ni à celle des Grecs ni aux religions monothéistes. "On dit souvent que la mythologie romaine n'est qu'une copie de la mythologie grecque, mais c'est faux, affirme-t-il. Les dieux romains ont leur personnalité propre et Jupiter, par exemple, est beaucoup plus près de notre conception de Dieu que ne l'est Zeus. Les auteurs comme Cicéron et Sénèque parlent de la divinité de la même façon que l'ont fait les Pères de l'Église. Augustin l'avait d'ailleurs remarqué et a dû affirmer que c'était la divine providence qui parlait à travers eux!"

Pour le professeur, mythologie et foi relèvent du même processus. "Le mythe, dit-il, appartient au domaine fondamental du sacré et sa vérité est la même que celle de la foi en une religion. Le mythe est un récit qui explique et donne les renseignements nécessaires pour vivre sa destinée."

Citant l'ethnologue Bronislaw K. Malinowski, il souligne que les mythes sont, pour le primitif, "ce que sont pour un chrétien profondément croyant les mythes de la Création, du Péché originel, de la Rédemption par le sacrifice du Christ sur la croix".

Chez les Romains, la notion de numina ou "présences divines" serait comparable, selon le professeur, aux diverses figures que peuvent prendre Notre-Dame de la Paix, Notre-Dame des Victoires, Notre-Dame de la Route ou encore à la spécialisation des saints chez les catholiques, telle sainte Lucie (du latin lux, "lumière") qu'on invoque pour les troubles de la vue.

Avec le mythos et le deus, ces numina sont l'un des trois concepts formant la notion de divinité chez les Romains, trois composantes qui occupent une place centrale dans le volume. "Si l'on ignore l'une des trois, la nature et le rôle du dieu romain en sortent diminués", indique-t-il.

Quant à ceux qui tiennent absolument à ce qu'une religion digne de ce nom inclue un corps de doctrines, un rituel et un clergé, le professeur Fasciano rétorque qu'il faudra alors "expliquer pourquoi le besoin spirituel est, chez plusieurs peuples, satisfait à si bon compte", c'est-à-dire par ce qu'on appelle une mythologie.

Les mythes modernes
Comme la pensée mythique est sans doute le lot de tous les peuples, nos sociétés modernes n'y échappent pas. Domenico Fasciano consacre d'ailleurs un chapitre aux mythes du monde moderne, notamment aux mythes politiques du marxisme et du nazisme.

Selon l'auteur, le communisme marxiste et le national socialisme constituent des mythes en ce sens qu'ils visent à modifier la civilisation par un nouveau départ. Les deux doctrines peuvent également être considérées, pour l'une, comme une version sécularisée du mythe de l'âge d'or, présent dans le christianisme et matérialisé par la société sans classes; pour l'autre, il s'agirait du mythe du retour à l'origine par la création d'une race parfaite. Le cas de l'homo americanus pourrait également répondre, à son avis, à ce modèle mythique.

Parmi les mythes sociaux modernes, on retrouve également celui du nouvel an en tant que rite de recréation du monde, celui de la divinisation de la nature, celui du christianisme en tant qu'imitation de Jésus ou encore celui de l'éducation par les modèles exemplaires qu'elle propose.

"Là où un mythe recule, conclut Domenico Fasciano, un autre apparaît."

Daniel Baril

Domenico Fasciano, Dieu chez les païens, Mont-Royal, Éditions Musea, 1999, 156 pages.


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