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Standardisation de l'information télévisée

"La comparaison éveille l'intelligence", estime Jean-Claude Leclerc.

Pour Jean-Claude Leclerc, le Globe and Mail est "le meilleur journal au Canada". La presse québécoise fait, quant à elle, "très paroissiale", estime son collègue Florian Sauvageau.

Si, comme l'affirme Jean-Claude Leclerc, "la comparaison éveille l'intelligence", les médias québécois ne contribuent que bien peu au rehaussement du niveau d'intelligence du public.

Ce qui frappe l'ex-éditorialiste du Devoir et professeur au certificat en journalisme de la Faculté de l'éducation permanente (FEP), c'est en effet la standardisation des formats et des contenus, "vite faits et en capsules", de l'information véhiculée par les médias de masse. Le professeur y voit là un symptôme de l'orchestration de la nouvelle par les sources d'information plutôt que par les journalistes, une tendance qui n'est pas exclusive aux médias québécois mais qui s'observe dans tous les pays.

Jean-Claude Leclerc livrait ces commentaires au colloque Lizette-Gervais, dont la FEP était l'hôte le 5 mai dernier. Ses propos s'appuyaient entre autres sur un montage réalisé par Jacques Camirand, ex-journaliste à TVA, présentant des reportages de Radio-Canada, de TVA et de TQS sur le Kosovo et sur l'opération policière effectuée au domaine des Apôtres de l'amour infini.

Dans ce dernier cas, les trois reportages donnaient nettement l'impression d'avoir été produits par la même équipe: les images, la structure, les informateurs, le contenu étaient identiques. Il faut dire à la décharge des journalistes qu'il n'y a pas 36 façons de traiter un tel fait divers et que, comme l'a souligné Jacques Camirand, d'autres émissions que les journaux télévisés ont traité plus à fond du sujet.

Mais pour Jean-Claude Leclerc, une telle uniformisation conduit à la fois à occulter et à créer le réel. "Si tout le monde dit la même chose, c'est donc ça le réel, dit-il. Mais que savons-nous des supposées agressions sexuelles en question? Fichtrement rien." Selon le professeur, cette couverture montre "l'incapacité des journalistes à lire le réel" qui, à son avis, résidait plutôt dans "l'incompétence et l'amateurisme de la Sûreté du Québec, qui a monté un mauvais show publicitaire en invitant les médias à une opération qui a échoué".

Quant à savoir s'il faut dissocier de telles analyses des informations factuelles, M. Leclerc fait valoir que l'information n'est jamais dissociée de l'opinion. "Il existe une grille des opinions acceptables - celles sur la secte des Apôtres - et une grille des opinions inacceptables, celles sur le ratage de l'opération policière."

Dans le cas du Kosovo, les reportages montraient un peu plus de diversité. Le fait que Radio-Canada a des reporters à l'étranger permet de varier les approches, mais le premier niveau d'information reste le même pour les trois chaînes, a souligné Jacques Camirand.

Le journaliste voit trois causes à cette standardisation: la course aux cotes d'écoute dans laquelle sont engagées TVA et Radio-Canada, qui diffusent leur bulletin de nouvelles à la même heure; le débordement du mandat montréalais de TQS; et l'arrivée de chaînes d'information en continu, qui force les autres canaux à se repositionner. Il croit par ailleurs qu'on reviendra à des mandats plus distincts.

Devant ce constat de standardisation, Florian Sauvageau, directeur du Centre d'études sur les médias de l'Université Laval, y est allé d'un commentaire qui se voulait une autocritique de son milieu: "L'enseignement que nous donnons contribue-t-il à la stérilisation du journalisme?" s'est-il demandé.

D'hier à aujourd'hui
M. Sauvageau prononçait la conférence d'ouverture du colloque en comparant les conditions d'exercice du journalisme dans les années 1960 et les conditions actuelles. Au-delà des changements technologiques et d'un désintérêt à l'égard des affaires publiques, les problématiques de fond semblent de tout temps être les mêmes.

La lecture d'une analyse datant de 1890 nous révèle en effet qu'à cette époque on s'inquiétait déjà de la place de plus en plus grande qu'accordaient les journaux aux nouvelles locales, au sport, au crime ainsi qu'aux illustrations, soit les mêmes reproches qu'on adressait aux tabloïds de Quebecor dans les années 1980 et qu'on adresse aujourd'hui à la télévision de Quebecor.

La confusion des genres et l'information-spectacle ne datent pas d'hier non plus. "En 1966, relate le professeur, je faisais tourner des disques à la radio alors que dans une autre émission j'étais interviewé par Jean Coutu et Réal Giguère sur l'actualité politique! La confusion des genres est inhérente au journalisme; si vous n'intéressez pas, vous n'informerez pas."

Daniel Baril


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