En proposant à La Pléiade une
collaboration à l'édition des écrits de
Francis Ponge, Bernard Beugnot a eu le plaisir de se voir confier
la direction de la publication des oeuvres complètes du poète. |
La fenêtre
De tout son corps
Rimant avec être
Montre le jour
Puis nous aidant à respirer
Nous conjure l'air pénétré
De ne plus tant y regarder
Cet extrait de La fenêtre est typique de la poésie de Francis Ponge. À partir de la description d'objets de la vie quotidienne, il tire une réflexion sur le langage ou sur l'existence en donnant vie à l'objet: pour mener à bien la tâche d'écriture d'un poème sur la fenêtre, pourrait-on comprendre, il faut cesser de perdre son temps à regarder à travers elle.
Les littéraires célèbrent ce mois-ci le centenaire de ce poète présenté tantôt comme existentialiste, surréaliste, structuraliste, précurseur du nouveau roman, poète de l'objet ou matérialiste du langage, mais en réalité sans attache.
Pour souligner l'événement, ils s'offrent rien de moins que la publication des oeuvres de Francis Ponge dans la prestigieuse collection de La Pléiade, une publication qu'a dirigée Bernard Beugnot, ex-directeur du Département d'études françaises.
Le premier tome des oeuvres de Ponge était lancé à Paris en janvier dernier et devrait être bientôt en vente au Québec. Un second tome est en préparation et devrait paraître l'automne prochain.
Ponge le fabuliste
Si l'écriture de Francis Ponge revêt parfois des
airs de parenté avec l'écriture automatique (voir
l'extrait en encadré), elle n'est par contre jamais gratuite
et l'objet sert toujours de prétexte à la réflexion.
C'est cet aspect de son oeuvre qui a valu à Ponge le titre
de "poète de l'existentialisme", que lui attribua
Jean-Paul Sartre.
Mais pour Bernard Beugnot, Ponge demeure inclassable. "Il serait réducteur de considérer Ponge comme un poète de l'objet, affirme-t-il. Ponge n'a pas de tiroir ni d'école précise. Il a d'ailleurs toujours refusé d'être identifié à un genre et n'a même jamais voulu se dire poète. Il a fréquenté différents milieux, dont les surréalistes avec qui il partageait le refus des conventions sociales, mais sa méthode est demeurée complètement différente de la leur."
S'il fallait absolument donner une étiquette au poète, c'est celle de fabuliste que retiendrait Bernard Beugnot. "À la manière d'un fabuliste, Ponge s'inspire des objets, des lieux, des humains, de la réalité sociale et en tire non pas une leçon de morale mais une leçon de poésie. La description des "choses" devient une allégorie servant de support à une méditation sur un problème d'écriture. Dans La chèvre, par exemple, l'animal devient l'emblème du métier de poète; c'est un animal pauvre, associé à la misère, qui pourtant produit un lait très riche."
Cette analyse de l'oeuvre de Ponge en tant que fable a été développée dans un petit volume de Bernard Beugnot, Poétique de Francis Ponge, publié aux Presses universitaires de France en 1990.
Même sans cette "leçon de choses", les descriptions détaillées d'objets faites par le poète ont leur propre valeur et constituent un genre en soi. "À l'origine, précise le professeur, l'idée de Ponge était d'ailleurs de produire un dictionnaire encyclopédique."
Le scriptorium
Une autre particularité de Francis Ponge est de faire entrer
le lecteur dans son atelier d'écriture en révélant
sa façon de travailler. Ponge a lui-même publié
ses dossiers préparatoires et même des brouillons
accompagnés de notes et de retouches montrant comment il
procédait pour façonner son poème.
Pour les analystes, ceci en fait un cas exemplaire pour l'étude de la génétique littéraire, c'est-à-dire le processus de production d'un texte. Dans le premier tome de La Pléiade, Bernard Beugnot consacre une cinquantaine de page à cet aspect de l'oeuvre du poète, en plus de l'introduction et des autres analyses accompagnant chacun des textes de l'auteur.
Le professeur, qui a été invité par Ponge quelques années avant sa mort, survenue en 1988, a par ailleurs eu accès à une centaine de manuscrits et de dossiers inédits qui lui ont permis d'enrichir les connaissances sur la méthode pongienne. Plusieurs de ces documents seront publiés dans le second tome de La Pléiade.
Ces deux publications ont demandé neuf ans de travail à une équipe de sept spécialistes. Robert Melançon, lui aussi professeur au Département d'études françaises, ainsi que Jacynthe Martel, titulaire d'un doctorat sur Ponge déposé au même département, sont du nombre.
Pour Bernard Beugnot, maintenant à la retraite, publier dans La Pléiade constitue une consécration. "Un volume de La Pléiade dure 20 ans avant d'être refait, souligne-t-il. La collection compte 5000 abonnés et déjà 3500 exemplaires ont été vendus."
Ponge est traduit dans de nombreuses langues, dont l'allemand, le japonais et même le serbo-croate. On compte près de 1500 études sur Ponge, la plupart étant étrangement en anglais.
Daniel Baril
"Notre tendresse à la notion de la chèvre est immédiate pour ce qu'elle comporte entre ses pattes grêles - gonflant la cornemuse aux pouces abaissés que la pauvresse, sous la carpette en guise de châle sur son échine toujours de guingois, incomplètement dissimule - tout ce lait qui s'obtient des pierres les plus dures par le moyen brouté de quelques rares herbes, ou pampres, d'essence aromatique.
"Broutilles que tout cela, vous l'avez dit, nous dira-t-on. Certes; mais à la vérité fort tenaces.
"Puis cette clochette qui ne s'interrompt."