Les aînés ont mal aux dents...

... mais au moins gardent-ils celles-ci plus longtemps.

Daniel Kandelman

Dans les années 1980, près des trois quarts des Québécois de 65 ans et plus n'avaient plus de dents dans la bouche. Cette proportion a chuté de 16% en 10 ans.

"Ça, c'est la bonne nouvelle, signale Daniel Kandelman, directeur du Département de santé buccale de la Faculté de médecine dentaire. La mauvaise, c'est que les maladies buccales ont augmenté. On observe beaucoup plus de caries des racines, de problèmes de gencives et de dents déchaussées qu'autrefois."

Le tout nouveau président de l'Association internationale de gérodontologie veut attirer l'attention sur le manque d'assiduité de la clientèle de plus de 65 ans à consulter un dentiste. "Idéalement, une personne âgée devrait consulter son dentiste tous les deux ans, même si elle porte un dentier. Dans la réalité, le temps qui s'écoule entre deux visites est beaucoup plus long. Certaines n'ont pas vu leur dentiste depuis 5, voire 10 ans... D'autres n'ont même jamais vu de dentiste..."

Les soins dentaires n'étant pas couverts par le programme de l'assurance-maladie du Québec, chaque visite est facturable, sauf pour les prestataires de l'aide sociale et pour les enfants. Dans la mesure où elles sont capables de payer, les personnes âgées en mesure de se déplacer ont donc simplement à adopter cette habitude pour conserver une bonne santé buccale.

"C'est beaucoup plus inquiétant en ce qui concerne les personnes semi-autonomes ou en perte d'autonomie, signale le Dr Kandelman. Parce que plusieurs d'entre elles ignorent qu'elles doivent retirer leur dentier quotidiennement pour le nettoyer, il y a augmentation des maladies comme la stomatite, une inflammation des muqueuses. Dans certains cas, on a même observé des cancers de la cavité buccale. De telles complications sont inacceptables quand on sait que de simples visites chez le dentiste les auraient évitées."

La prévention, ça marche!
Si le taux d'édentation a sensiblement diminué depuis une décennie, c'est grâce au fluor ajouté dans les dentifrices, à une alimentation plus saine et à des visites plus fréquentes chez le dentiste. "C'est la preuve que la prévention produit des effets considérables, dit le Dr Kandelman. Et ça va continuer... La population vieillit, la tendance devrait se maintenir."

Malheureusement, la tendance devrait également se maintenir en ce qui concerne l'accroissement des inégalités sociales. Un nombre croissant de personnes âgées en perte d'autonomie ayant gardé leurs dents connaîtront donc une hausse de l'incidence des problèmes dentaires. L'argent constituera pour elles un obstacle majeur.

"Il ne faut pas laisser tomber nos aînés, dit le spécialiste. La distribution des soins posera collectivement un problème éthique délicat."

Si les enfants ont accès gratuitement aux services dentaires, pourquoi les vieillards démunis n'auraient-ils pas droit également à des services gratuits? "C'est une question qu'on peut se poser. Mais la réponse sera inévitablement politique."

Les dentistes à contribution
Les dentistes sont pourtant appelés à jouer un rôle actif dans ce nouveau phénomène social. Et le DrKandelman laisse entendre qu'ils ne se bousculent pas auprès des clients âgés, particulièrement ceux qui sont confus et immobilisés. "Il y a beaucoup de spécialistes en dentisterie pédiatrique mais très peu en dentisterie gérontologique", dit-il.

Il apparaît urgent de mettre sur pied des programmes de promotion de la santé dentaire chez les personnes âgées. Ils pourraient être établis avec la collaboration des ministères concernés, des CLSC, des centres d'hébergement. Et pourraient inclure des visites à domicile avec du matériel portatif. Mais les facultés elles-mêmes doivent être sensibilisées à ce phénomène et prendre des initiatives. "Beaucoup de gens sont en train de manquer le bateau", lance le dentiste en rappelant que la population âgée représentait 11% de la population québécoise au dernier recensement.

L'Association internationale de gérondontologie, que M. Kandelman préside depuis le début de l'année 1999, se consacre à ce problème dans plusieurs pays. Le vieillissement de la population est commun à plusieurs d'entre eux. L'Association est affiliée à l'Association dentaire internationale et compte une centaine de membres, venant principalement de France, de Tunisie, d'Espagne et du Québec.

"Les soins aux personnes âgées, c'est une question de solidarité sociale, dit le Dr Kandelman. Nos aînés, ce sont nos parents, nos grands-parents."

Ce propos philanthropique est à l'image du personnage. Dans ses temps libres, Daniel Kandelman troque les instruments du cabinet de dentiste contre le clavier et donne à l'occasion des récitals de piano au profit de bonnes causes.

Le virtuose se produira le 2 mai prochain dans le cadre d'un concert au bénéfice de l'aide alimentaire du Service d'action humanitaire et communautaire. Il sera accompagné en première partie par une jeune violoniste, Marie-Ève Asselin, qui étudie à la Faculté de médecine dentaire. "Quand j'ai su que des étudiants étaient à ce point démunis, j'ai eu envie de faire quelque chose pour leur venir en aide. C'est ma modeste contribution." Au programme: Bach, Mozart, Chopin et Beethoven.

Mathieu-Robert Sauvé