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Les clauses orphelins minent le mouvement syndical

Selon Marie-France Bich, la loi interdit déjà ce genre de clauses.

Marie-France Bich prononcera une conférence sur les clauses orphelins devant la Commission des droits de la personne le 12 avril.

Alors que le gouvernement du Québec s'apprête à déposer un projet de loi interdisant les clauses orphelins - ou "discriminatoires", comme le recommande l'Office de la langue française -, une juriste spécialisée en droit du travail, Marie-France Bich, prétend que la loi interdit déjà ce type de clauses. "Je ne suis pas certaine qu'une nouvelle législation soit souhaitable, dit-elle. Nous n'avons pas exploité toutes les possibilités du droit actuel."

Dans le débat très médiatisé autour des clauses orphelins, on a beaucoup discuté de discrimination en fonction de l'âge. Or, selon Me Bich, la révision à la baisse des conditions de travail pour les nouveaux employés contrevient à une règle beaucoup plus concrète: le devoir de juste représentation des syndicats.

"Lorsqu'un syndicat obtient son accréditation dans une organisation, le salarié renonce à son pouvoir individuel de négociation, explique Me Bich. Dès cet instant, un individu ne peut plus négocier seul ses conditions de travail. En contrepartie, chaque syndiqué a droit à une représentation juste et équitable. C'est là que le bât blesse. Les nouveaux employés ne doivent pas se retrouver systématiquement désavantagés simplement parce qu'ils sont entrés en fonction après telle ou telle date. C'est inconcevable."

Plusieurs précédents ont permis de documenter la jurisprudence au sujet du devoir de juste représentation. Une personne qui déciderait de contester une clause orphelin pourrait donc s'y référer.

Le coût d'une contestation
Si la loi actuelle convient, alors pourquoi ne conteste-t-on pas les clauses orphelins devant les tribunaux? "Ça prendrait une cause", répond simplement Mme Bich. Selon elle, une contestation pourrait donner des résultats satisfaisants.

Mais attention: une personne qui contesterait la clause orphelin dont elle a été victime s'engagerait dans un long et coûteux procès qui pourrait se conclure devant la Cour suprême. Alors que cette personne serait isolée et sans ressources, en face d'elle défileraient les meilleurs avocats, engagés par le Conseil du patronat et possiblement les grandes centrales syndicales.

Cela dit, le débat sur les clauses discriminatoires ouvre une boîte de Pandore capable de déstabiliser le mouvement syndical québécois, estime Marie-France Bich. Ce phénomène serait en quelque sorte son talon d'Achille. "C'est dommage, car les syndicats québécois avaient perdu moins de plumes qu'ailleurs sur le continent depuis une vingtaine d'années."

Certains syndicalistes justifient l'insertion de telles clauses dans les conventions collectives par le fait que la majorité en a décidé ainsi. "L'argument de la démocratie ne me trouble pas, dit la professeure de droit. La majorité n'a pas toujours raison. Sinon, il serait normal que les Noirs ou les femmes soient sous-payés dans certains États. Pourquoi cela devrait-il être différent en ce qui concerne les jeunes?"

Travail précaire
Mais Me Bich ne lance pas la pierre aux syndicats. "Je la lance à tout le monde, corrige-t-elle. Les employeurs se tirent dans le pied en permettant de telles clauses qui risquent de nuire considérablement au climat de travail à long terme. Personne n'y gagne."

La juriste, qui enseigne le droit du travail depuis 16 ans, se défend de tenir des propos antisyndicaux. Elle se fait même qualifier de "communiste" au moins une fois par année en vertu de ses idées. "Je suis prosyndicale et je reconnais que les mouvements ouvriers ont permis une nette amélioration des conditions des travailleurs. Mais ce mouvement tire sa force de la solidarité. Si l'on bafoue cette solidarité pour protéger les avantages des plus âgés, c'est très inquiétant."

Même si la Charte des droits et le Code du travail semblent suffisamment clairs pour protéger les "orphelins" reste entière la question des employés non permanents qui font souvent le même travail que leurs collègues, mais sans les avantages.

En principe, une disposition du Code du travail protège les employés à statut précaire contre un traitement discriminatoire. En pratique, presque tous ces travailleurs bénéficient de conditions moins avantageuses que les employés réguliers permanents.

"Si je suis employée à temps partiel dans une boîte quelconque et que je travaille deux jours par semaine, je veux bien être payée 2/5 du salaire d'un employé régulier. Mais pas 1/5."

Le gouvernement québécois devra faire attention pour éviter tous ces pièges.

Mathieu-Robert Sauvé


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