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Prisons pour femmes

Sous la direction de Marie-Andrée Bertrand, une équipe de criminologues a enquêté sur les conditions de détention des femmes dans huit pays.

De 80% à 90% des femmes emprisonnées pourraient purger leur peine dans la communauté, estime Marie-Andrée Bertrand. Il en coûte plus de 82 000$ par personne par année pour garder ces femmes dans des prisons fermées.

Conçues au départ pour enrayer les maux de la société, les prisons sont depuis quelque temps accusées de tous les maux: surpeuplement, violence organisée, insalubrité, toxicomanie répandue, taux d'infection au VIH alarmant.

La criminologue Marie-Andrée Bertrand vient de décocher une nouvelle flèche à l'endroit de notre système carcéral en attirant cette fois l'attention sur les conditions qui règnent dans les prisons pour femmes.

Même si les femmes ne représentent que 2% de la clientèle carcérale des pénitenciers fédéraux (soit autour de 300 personnes), ce n'est que depuis peu qu'on a commencé à se pencher sur leurs besoins particuliers: les prisons pour femmes ont jusqu'à tout récemment été conçues sur le modèle des prisons pour hommes.

Selon Marie-Andrée Bertrand, les infractions commises par les femmes ne justifient pas les conditions d'incarcération sévères auxquelles elles sont soumises. De l'avis même des autorités carcérales qu'elle a rencontrées, seulement 10% des femmes condamnées à la prison constituent un danger pour la société.

Les conditions d'incarcération rendent par ailleurs difficiles, voire impossibles, les rapports entre mères et enfants de même que l'organisation de cours de formation visant la réinsertion des prévenues dans la société.

Des attentes déçues
Pour faire avancer le débat et les connaissances sur cette question, Mme Bertrand et quatre autres criminologues issues de l'École de criminologie de l'Université de Montréal (Louise Biron, Concetta Di Pisa, Andrée Fagnan et Julia McLean) ont entrepris, de 1991 à 1995, une vaste étude de terrain qui les a amenées dans 24 prisons de huit pays: Allemagne, Angleterre, Canada, Danemark, Écosse, États-Unis, Finlande et Norvège.

Les résultats de leur analyse critique sont présentés dans un volume très touffu et fort détaillé, Prisons pour femmes, que la forme narrative parvient à alléger.

Au départ, l'équipe s'attendait à trouver des conditions de détention moins contraignantes dans les prisons scandinaves et allemandes que celles observées au Canada et aux États-Unis.

"Nos attentes étaient trop élevées et nous avions surestimé l''humanité' des régimes correctionnels d'Europe du Nord, reconnaît Marie-Andrée Bertrand. En Scandinavie, en Allemagne, en Angleterre et en Écosse, les contrôles sont aussi excessifs qu'en Amérique du Nord; les emplois et les programmes de formation sont aussi pauvres et ils sont limités aux travaux domestiques."

Partout, les prisons sont mal adaptées aux problèmes et aux besoins des femmes: excès de sécurité, établissements centralisés qui ne permettent pas des conditions de détention variées en fonction de la gravité du délit, programmes scolaires peu fréquentés, accès aux études supérieures souvent refusé.

Partout, les femmes prisonnières passent après les hommes quand il est question d'aménagements mieux adaptés. Avec de nombreux exemples à l'appui, les auteures parlent de condescendance, d'oubli, de négligence, de subordination, de chauvinisme mâle, d'infantilisation, de mépris.

L'enfant et sa mère
Pour les prisonnières qui sont mères, la relation avec leurs enfants pose un problème complexe. En Finlande, en Angleterre et en Écosse, les très jeunes enfants et ceux nés en prison vivent avec leur mère détenue. En Norvège et au Danemark, les enfants ne sont pas acceptés dans les pénitenciers, sauf dans les prisons ouvertes.

Au Canada et aux États-Unis, aucune prison n'accepte le séjour prolongé des enfants auprès de leur mère. En Allemagne, on applique le principe voulant que l'enfant de moins de six ans ait le droit d'être avec sa mère.

"Le problème, explique Mme Bertrand, c'est qu'on se trouve à incarcérer l'enfant avec la personne qui a commis le délit. L'enfant peut être victime de marginalisation s'il va à l'école, le contact avec sa mère se fait dans un contexte de contrainte où il peut devenir objet de chantage et l'on crée deux classes de détenues en accordant certains privilèges aux mères."

Pour les longues incarcérations, la solution retenue au pénitencier de Joliette, où l'enfant visite sa mère deux fois par semaine et une fin de semaine complète toutes les six semaines, lui paraît une formule mitoyenne intéressante entre la coupure totale et l'incarcération de l'enfant. L'expérience de Joliette, qui n'était pas amorcée lorsque l'étude a été entreprise, n'est toutefois pas analysée dans le volume.

Une exception: Shakopee
La tournée internationale de l'équipe de Marie-Andrée Bertrand lui a par ailleurs permis d'observer une exception dans le décevant paysage de l'incarcération des femmes: la prison ouverte du Minnesota, à Shakopee, près de Minneapolis.

On parle ici de "prison invisible", sans clôture, à l'atmosphère plutôt amicale, où les femmes sont traitées avec respect et ont accès à de multiples programmes scolaires et de formation professionnelle. L'aspect le plus contraignant semble être l'interdiction de ne rien faire!

Mais rien n'est parfait. Ces mesures de contrôle excessives de l'emploi du temps sont vues par les criminologues comme une négation de la possibilité pour les femmes de prendre leur vie en main. Si la prison de Shakopee montre qu'il est possible d'emprisonner moins souvent, pendant moins longtemps et de façon profitable, cette forme de détention demeure, aux yeux des criminologues, une forme encore trop sévère d'emprisonnement pour la très grande majorité des femmes.

Daniel Baril

Marie-Andrée Bertrand, Prisons pour femmes, Montréal, Éditions du Méridien, 1998, 449 pages.


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