Le Laboratoire des musiques du monde, fondé par Monique Desroches, compte parmi ses collections des figurines ayant la musique pour thème. Ici, l'ethnomusicologue nous montre un joueur de steeldrum en provenance de Trinidad. |
La première fois que Monique Desroches est débarquée au Nouveau-Québec avec son magnétophone et ses calepins, en 1977, le village inuit venait de renvoyer tous les Blancs qui s'y trouvaient et de limoger son chef, avec qui l'ethnomusicologue avait établi une entente pour étudier les traditions musicales. Le nouveau chef était intraitable: interdiction formelle d'enregistrer le moindre chant. Et pas d'avion avant une semaine!
"Heureusement, j'avais dans mes bagages des enregistrements d'autres groupes inuits, relate Mme Desroches. Je les ai fait écouter aux habitants du village et ils se sont montrés curieux. C'était la première fois qu'ils entendaient des chants de bandes rivales et j'ai pu recueillir leurs réactions. Mon premier 'terrain' était sauvé."
Depuis cette expérience, la chercheuse a roulé sa bosse d'un bout à l'autre de la biosphère et s'est bâtie une renommée en matière de musique vernaculaire. De ses voyages d'études à l'île Maurice, en Afrique, dans le Grand Nord et ailleurs, elle a ramené des quantités d'enregistrements, des documents rarissimes et une expertise unique en son genre. Au passage, elle a "adopté" un filleul créole (une langue qu'elle parle couramment) et a été invitée à subir une initiation tamoule. Ce qu'elle a poliment refusé.
Subvention de l'Agence francophone
Mais ne cherchez pas Monique Desroches au Canada ces jours-ci.
Elle est en route pour l'océan Indien, où elle doit
recueillir, avec son collaborateur Luc Bouvrette, docteur en théorie
musicale et producteur d'outils multimédias, des échantillons
musicaux qui serviront à la production de trois cédéroms
sur la musique de ce coin du monde. Cette recherche bénéficie
d'une subvention de l'Agence francophone (anciennement l'Agence
de coopération culturelle et technique) par le biais de
son programme "Patrimoines vivants des populations du Sud".
Alors que Mme Desroches prendra la direction de l'île Maurice et de Madagascar, sa collaboratrice Claudette Berthiaume-Zavada s'orientera du côté de Conakry (Guinée) afin de recueillir elle aussi des éléments qui serviront à la production d'un cédérom. "C'est un des pays les plus pauvres d'Afrique, commente Mme Berthiaume-Zavada. Nous ne savons pas très bien ce qui s'y passe, car l'information qui nous parvient est très fragmentaire. C'est véritablement l'aventure."
Difficile d'imaginer cette petite femme aux cheveux blancs s'enfoncer dans la jungle avec son sac à dos et son magnétophone. "Vous seriez surpris, monsieur", rétorque-t-elle.
Claudette Berthiaume-Zavada admet pourtant que le fait d'être une femme blanche et universitaire peut lui causer certains désagréments en pays étranger. Elle n'était pas très à son aise, par exemple, au cours d'une excursion entre l'Iran et la Turquie, quand elle s'est aperçue qu'elle était la seule femme dans un autobus bondé d'hommes. "En revanche, je me souviens d'un arrêt dans une oasis, lorsque le groupe où je me trouvais traversait un désert. Les femmes, habituellement si discrètes, se sont retrouvées à l'abri du regard des hommes et se sont dévoilées en ma présence. Elles me faisaient confiance."
Une ruse de l'ethnomusicologue afin de favoriser les échanges est de présenter à ses hôtes son propre album de famille. "Lorsqu'ils voient que j'ai moi aussi des enfants, un foyer, ça les rassure. C'est un petit truc anodin, mais ça marche."
Grosse année pour Monique Desroches
Un autre projet d'envergure, financé par le CRSH, est en
cours avec une professeure associée de la Faculté,
Ghislaine Guertin. Il s'agit d'étudier le problème
d'authenticité dans la musique traditionnelle. "Il
y a actuellement une mode du retour aux sources, explique Mme
Desroches. Je veux bien, mais quelles sources? Dans le cas des
pays métissés comme les pays créoles, la
question est insoluble. La pure créolité, c'est
de la pure impureté..."
Quoi qu'il en soit, les derniers jours de 1998 ont marqué la fin d'une année active pour Monique Desroches. En plus de la subvention de l'Agence francophone, un dossier qui lui tenait très à coeur, elle a mis la dernière main à un autre cédérom. De plus, un cours d'introduction à l'ethnomusicologie vient d'être mis à la portée des étudiants par le biais d'Internet.
Inutile de dire que les nouvelles technologies de l'information et de la communication sont des outils précieux pour la professeure de la Faculté de musique. "Le Laboratoire des musiques du monde a résolument pris le leadership en matière de multimédia", résume-t-elle.
Ouvert au public le lundi de 9h à 17 h et toujours à la disposition des chercheurs, ce laboratoire possède un centre de documentation qui contient un millier d'éléments sonores en plus de documents écrits et vidéo et d'artéfacts provenant de tous les coins du monde.
Mathieu-Robert Sauvé
Avec ses collaborateurs du Laboratoire des musiques du monde, qui compte une douzaine de personnes, l'ethnomusicologue Monique Desroches a recueilli des carapaces de tortues transformées en hochets ou en instruments à cordes, des bidons recyclés en tambours et même un cor fait de cannettes d'aluminium soudées. Au total, plus de 600 instruments accumulés.
Les "souvenirs" de Mme Desroches et de ses collaborateurs sont devenus une collection officielle de l'Université de Montréal et font actuellement l'objet d'une exposition au Centre d'exposition de l'UdeM, avec la collaboration du Département d'anthropologie. Une soixantaine d'instruments sont présentés.
Le thème en est le "détournement de sens". Appuyée par des documents sonores, des photographies illustrant les techniques de jeu et le contexte d'utilisation, l'exposition met en valeur l'aspect insolite des instruments nés de la récupération animale, végétale et industrielle.
L'exposition se déroule jusqu'au 28
janvier au Centre d'exposition, 2940, chemin de la Côte-Sainte-Catherine.
L'entrée est libre.