Pierre Trudel |
Pendant que le CRTC tient des audiences publiques sur la radiodiffusion et la télédiffusion par Internet, les étudiants du cours Droit de l'information étaient conviés à des audiences fictives d'un CRTC fictif où ils devaient défendre les intérêts d'un organisme de leur choix face à la problématique que pose la diffusion par Internet.
"L'idée de simuler des audiences publiques visait à reproduire un contexte qui soit le plus près possible de la réalité", indique Pierre Trudel, titulaire de ce cours qui regroupe autant d'étudiants du Département de communication que de la Faculté de droit.
Seize équipes d'étudiants ont ainsi défendu les intérêts d'entreprises telles que Radio-Canada, l'ADISQ, l'Association canadienne des fournisseurs d'accès à Internet, l'Association nationale des téléspectateurs, Bell Canada, l'Association de protection des enfants ou encore le Fraser Institute.
Des questions complexes
Pour faire encore plus réel, Pierre Trudel avait invité
des spécialistes des milieux du droit et des communications
pour jouer le rôle des membres du CRTC. Par ses nombreuses
questions fort à propos adressées aux étudiants,
le "président" de la commission d'audiences,
Robert Cassius, de Linval, avocat et fondateur du poste de radio
Interactif, a bien fait ressortir les enjeux réels du débat
lancé par le vrai CRTC.
"Si je produis une émission de télé que je diffuse exclusivement sur Internet, est-ce encore une émission de télé? a-t-il demandé. Si je diffuse une chanson sur mon site personnel, est-ce que je fais de la radio? Le site de CNN, qui ne diffuse que du texte, constitue-t-il un journal?"
Au-delà de l'aspect sémantique de ces questions se cache une réalité qui prend tous les jours plus d'importance: à l'échelle de la planète, déjà 1500 radios de 78 pays diffusent leur programme en partie ou en totalité sur Internet. La radio étudiante de l'UdeM, CISM, est du nombre. Certaines stations, comme Interactif, diffusent même de façon exclusive sur Internet.
Des problèmes de droit très complexes surgissent également lorsqu'on aborde ces questions. La diffusion sur Internet est-elle soumise aux droits d'auteur? Qui a la responsabilité du contenu d'un site: le concepteur, le serveur qui héberge ou l'entreprise de diffusion? Une réglementation trop sévère risquerait-elle d'inciter les entreprises à s'installer dans une "république bananière"? Comment assurer la conformité des contenus avec les lois canadiennes lorsque les sites, en quantité infinie, sont situés partout sur la planète?
Sur ce point, la plupart des équipes ont fait valoir la nécessité d'un organisme de contrôle supranational qui aurait un mandat de surveillance à la fois de la qualité et du contenu de ce qui est diffusé sur Internet. Mais comment assurer un tel contrôle si la technologie permet à quiconque de diffuser à partir de son salon? Faudrait-il soustraire ce type de diffusion à certains aspects de la Loi sur les télécommunications, comme l'obligation de détenir un permis? Et le CRTC a-t-il juridiction sur un média tel qu'Internet?
À cette dernière question, Pierre Trudel est porté à répondre oui. À ses yeux, Internet répond à la définition d'un réseau de télécommunication. Et cela vaut non seulement pour les émissions de radio et de télévision, mais aussi pour le contenu des sites traditionnels. "Le problème, dit-il, c'est que le type de réglementation du CRTC devient peut-être futile si la diffusion devient une activité banale que chacun peut faire de chez lui." Devant cette réalité, le professeur serait enclin à favoriser des exemptions à la loi.
Les lois s'appliquent
Par ailleurs, comme plusieurs groupes d'étudiants l'ont
fait remarquer, il est bien certain que la diffusion sur Internet
n'échappe pas aux lois existantes, notamment en ce qui
concerne la protection du public, le commerce, l'obscénité
ou la propagande haineuse. Selon M. Trudel, les fournisseurs de
services ont même une responsabilité légale
relative au contenu rendu accessible par leur réseau.
"Les fournisseurs ne font pas que fournir des lignes, déclare-t-il. Si une chose est illégale, comme l'illustration de la pédophilie, elle l'est pour tout le monde et les fournisseurs ont les moyens de bloquer l'accès aux sites illégaux. Les lois canadiennes peuvent donc s'appliquer même à l'égard des diffuseurs installés à l'étranger." À son avis, une intervention diligente de la part d'un fournisseur à la suite d'une plainte suffit à montrer qu'il n'y a pas d'intention criminelle.
Mais tout le problème réside dans l'applicabilité de cette réalité juridique. De quoi occuper les juristes pour encore un bon moment.
Daniel Baril