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La recherche en santé et sa diffusion

D'Internet aux affiches, comment faire connaître ses résultats?

Trois participants au colloque sur la diffusion de la recherche en santé (dans l'ordre habituel): Jean-Claude Guédon, Sophie Malavoy et Serge Rossignol.

Durant les années 1930, le frère Marie-Victorin a lancé une publication savante pour diffuser les résultats des recherches menées à l'Institut botanique. Les coûts de production étaient absorbés par un échange de bons procédés: chaque éminent collègue recevant un exemplaire de la revue retournait à l'expéditeur un exemplaire de sa publication maison. L'initiative visait deux objectifs: garnir le centre de documentation de l'Institut et assurer son rayonnement.

Ce système a bien fonctionné un certain temps mais serait impensable aujourd'hui, alors que l'abonnement à certaines revues scientifiques coûte jusqu'à 1000$ par année et menace la survie des collections. "Dans l'après-guerre, le commerce s'est jeté sur l'édition savante comme des vautours sur un cadavre", a tonné Jean-Claude Guédon, professeur au Département de littérature comparée, à un colloque tenu récemment sur la diffusion de la recherche en santé.

Selon ce spécialiste du cyberespace, l'inflation qu'a subie l'édition savante n'a aucun sens, compte tenu de l'étouffement budgétaire des établissements de haut savoir. Pour renverser la vapeur, les chercheurs devraient dès aujourd'hui renoncer à publier leurs articles dans ces revues trop coûteuses qui contribuent à l'appauvrissement des bibliothèques. La solution? Internet, évidemment. M. Guédon est lui-même un précurseur en la matière à titre d'éditeur de la première publication exclusivement électronique à avoir vu le jour (virtuel) à l'Université de Montréal: Surfaces.

Un autre appui est venu de Rhoda Weiss-Lambrou, professeure à l'École de réadaptation. Elle a invité la communauté universitaire à s'orienter vers Internet comme outil de diffusion "même si à peine 10% des médecins et professionnels de la santé sont actuellement branchés".

À son avis, les publications sur papier ont d'énormes désavantages qu'on omet de signaler: les coûts, la difficulté d'archiver et bien sûr les délais. "Après avoir été mis en attente pendant des mois, un article est soumis en juin 1997 et publié en juin 1998. Les travaux datent donc, au mieux, de deux ans."

Masse critique demandée
En attendant la fameuse révolution, les chercheurs préfèrent encore être publiés sur papier et participer aux techniques "traditionnelles" de diffusion scientifique. Par exemple, les rencontres entre spécialistes en chair et en os semblent toujours être préférées aux réunions virtuelles.

"Internet ne peut pas remplacer un bon vieux congrès, estime Serge Rossignol, du Département de physiologie. Les outils de l'inforoute servent à l'organisation et sont utiles pour diffuser les actes des colloques où vous n'avez pas pu vous rendre. Mais rien ne vaut les rencontres qu'on peut faire durant ces événements."

M. Rossignol sait de quoi il parle. Au récent congrès de la Society for Neurosciences, en Californie, auquel il participait, 21 000 scientifiques et 400 exposants commerciaux étaient présents. À ce seul congrès, de 40 à 50 salles ont été mobilisées pour les 12 500 présentations. D'immenses halls exposaient les affiches. Chacune d'entre elles attiraient des dizaines de curieux. "Il y avait des files devant les présentoirs. Jusqu'à une demi-heure d'attente pour voir certaines affiches."

Les marchands du Temple y trouvent également leur compte. C'est l'occasion unique pour les entreprises de haute technologie de conquérir de nouveaux clients. Et pour les chercheurs, de découvrir les derniers microscopes, scanners, sondes et autres musts de laboratoire.

Les congrès intimes présentent quant à eux d'autres inconvénients. On y apprécie l'échelle plus humaine, les horaires flexibles et l'accent mis sur un thème précis plutôt que sur un ensemble de propositions. Mais le fait de réunir ainsi des participants sur invitation laisse moins de place aux étudiants et aux chercheurs moins prestigieux, limite la variété des sujets et augmente les coûts. Bref, d'autres avantages et d'autres inconvénients.

Médias et recherche: deux mondes
Les journaux et la télévision profitent des grandes rencontres de scientifiques pour traiter des sujets qui leur échappent très souvent. On a vu par exemple les médias québécois aborder plusieurs aspects de la sociologie durant l'été 1998, alors que des centaines de sociologues ont afflué des quatre coins du monde au Palais des congrès de Montréal.

Dans la vraie vie, les journalistes scientifiques se font rares et n'ont pas toujours une place de premier plan dans leur publication ou leur réseau. Sophie Malavoy, qui a été rédactrice en chef de la revue Interface pendant 14 ans et qui coordonne aujourd'hui une émission scientifique hebdomadaire à Télé-Québec, est venue témoigner de la différence entre les mondes universitaire et journalistique.

"Les chercheurs réalisent de plus en plus l'importance de se tourner vers les médias pour faire connaître leurs travaux. Pourtant, les règles pour communiquer avec le public sont différentes de celles qu'ils utilisent pour dialoguer avec leurs pairs. Je m'étonne toujours de constater que ces habiletés de communication ne s'enseignent pas. Ni en génie ni en santé. Durant un baccalauréat, les étudiants ne suivent aucun cours sur la vulgarisation scientifique."

Pour Serge Rossignol, les services de communication des universités ont un rôle à jouer à ce chapitre. Il rêve d'une "ligne 9-1-1" qui donnerait accès aux services de professionnels capables d'organiser rapidement une conférence de presse ou une opération ciblée auprès des journalistes.

Jean-Luc Malo critique les pairs
Cela dit, la diffusion de la recherche commence par la publication d'articles dans des revues dont la qualité du contenu est assurée par un comité de pairs. Pour être publié, un article doit généralement recevoir une approbation de deux des trois membres du comité. Leur travail est-il sans faille? Certainement pas, répond Jean-Luc Malo, vice-doyen à la recherche à la Faculté de médecine, qui a fait une recherche sur la question.

"Selon une étude que j'ai consultée, à peine 36% des articles inventoriés ont donné lieu à un accord parfait entre les trois responsables de l'approbation des articles. Dans les autres cas, au moins un arbitre était en opposition avec ses collègues."

Pire encore, une enquête du British Journal of Medicine auprès de 420 "pairs" a révélé leur incapacité à souligner les huit écueils contenus dans un article qui leur avait été soumis. "La compilation des 221 réponses obtenues a montré qu'aucun expert n'avait découvert plus de quatre écueils. La moyenne était de deux écueils."

Troublant. Mais ce n'est pas tout. Le travail des membres de ces comités de lecture est souvent effectué en vitesse, sur des formulaires qui ne laissent pas de place à l'explication. On coche une des cases suivantes: "Accepted as it is", "Accepted with minor revision", "Accepted with major revision" ou "Rejected". Dans ce dernier cas, l'économie d'explications peut durement affecter l'auteur. "Les grands noms ne sont pas toujours les meilleurs arbitres, signale Jean-Luc Malo. Leurs réponses sont courtes et cinglantes. Cela n'aide pas."

Sommes-nous pris avec le moins mauvais des systèmes? "Je le crois, dit le vice-doyen. Mais on peut chercher à l'améliorer."

Mathieu-Robert Sauvé


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