L'équipe qui a réalisé le premier guide des services offerts aux blessés de la route - Isabelle Huot, Stéphane Messier et Claire Laberge-Nadeau - offre un bel exemple de l'interdisciplinarité du Centre de recherche sur les transports. La première est nutritionniste, le second démographe et la troisième médecin. |
"Depuis une décennie, le sida, le cancer et les maladies cardiovasculaires ont la faveur des médias alors que les problèmes de santé reliés aux accidents de la route suscitent un intérêt beaucoup moindre. C'est très malheureux", dénonce la Dre Claire Laberge-Nadeau, directrice du Laboratoire sur la sécurité des transports du Centre de recherche sur les transports.
Dès les années 1970, cette professeure du Département de médecine sociale et préventive a senti l'urgence de se consacrer à la sécurité routière, car c'était à ses yeux le problème de santé publique le plus criant. "La route faisait alors 2200 morts et des dizaines de milliers de blessés par année. Une vraie catastrophe. Pourtant, il a fallu attendre 15 ans avant que le ministère des Transports décide de faire de la prévention des accidents sa priorité."
Les campagnes de prévention contre l'alcool au volant, le règlement sur l'utilisation obligatoire de la ceinture de sécurité et la qualité de la construction des véhicules ont contribué à abaisser le nombre de morts. Une diminution spectaculaire des décès de la route de 60% a été enregistrée en 20 ans. Cependant, le nombre de blessés graves n'a pas diminué d'autant. De 8200 qu'ils étaient en 1979, ils sont passés à 5900 aujourd'hui, soit à peine 16% de moins.
Pour Mme Laberge-Nadeau, il y a là matière à réflexion, car les victimes conservent souvent des séquelles permanentes de l'accident quand elles n'y laissent pas la vie. "Même dans le cas de blessures légères, les coûts sociaux sont très importants. Par exemple, les blessures au cou, plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, nécessitent parfois des congés de maladie de six mois."
Peu d'argent pour la recherche
Si les médias s'intéressent peu au phénomène
de la sécurité routière, il en va de même
des organismes subventionnaires, qui n'en font vraisemblablement
pas une priorité. Et pas seulement chez nous. Le Center
for Desease Control, aux États-Unis, a dénoncé
le manque de fonds investis dans ce secteur. La route est pourtant
responsable de 92% des décès dus aux transports.
En 11 ans d'existence, le Laboratoire sur la sécurité des transports a cependant pu bénéficier de la collaboration croissante et des fonds de recherche de la Société de l'assurance automobile du Québec, du ministère québécois des Transports et d'autres organismes pour mener des travaux sur la sécurité routière. Le secteur privé est aussi un partenaire. En 1996, la fondation Jean-Meloche a fait un don à l'Université de Montréal, ce qui a permis la réalisation d'un guide des services offerts aux blessés de la route (voir l'encadré).
L'épidémiologiste Claire Laberge-Nadeau a été la première, à la Faculté de médecine, à s'intéresser à ce sujet. Aujourd'hui, son laboratoire réunit des gens de divers horizons: psychologie, démographie, génie, épidémiologie, économie, informatique, etc.
Premières victimes: les jeunes
Les jeunes constituent une catégorie fortement représentée
parmi les victimes de la route. En effet, les conducteurs de 16
à 19 ans sont trois fois plus souvent impliqués
dans un accident de la route que ceux de 45ans et plus (15% contre
5%). Mais les conséquences d'une mauvaise manoeuvre ne
sont pas les mêmes pour les jeunes que pour leurs aînés.
"Une personne âgée impliquée dans un accident grave y laisse bien souvent la vie, tandis qu'un jeune y survivra, mais dans des conditions qu'il n'imaginait certainement pas avant l'accident", observe Mme Laberge-Nadeau
Lorsque les services d'intervention sont bien organisés et efficaces, certaines blessures comme les hémorragies internes seront traitées à temps et ne laisseront pas de séquelles. Par contre, les traumatismes à la tête et certaines fractures nécessiteront des semaines d'hospitalisation et des mois de réadaptation.
Pour la fondatrice du Laboratoire sur la sécurité des transports, un bon bout de chemin a été fait depuis 20 ans pour améliorer la sécurité routière. Mais il ne faut pas s'arrêter là.
"On peut encore travailler à la réduction du nombre de "points noirs", ces endroits connus où l'on rapporte des accidents à répétition. On peut concevoir de nouveaux systèmes intelligents de gestion du réseau. On peut aussi poursuivre les campagnes de prévention contre la vitesse excessive et améliorer la conception des automobiles."
Bref, il y a du pain sur la planche.
Mathieu-Robert Sauvé
Que vous habitiez rue Saint-Denis, à Montréal, ou sur une route rurale du Nunavik, un scénario existe pour vous prendre en charge s'il vous arrive un accident de la route. Avant même d'arriver à l'hôpital, une dizaine de personnes auront été prévenues de votre malchance.
D'abord, les personnes présentes doivent, selon la loi, vous porter assistance. Puis, l'une d'elles composera le 9-1-1, à la suite de quoi, si vous êtes dans un grand centre, la centrale de coordination des appels urgents enverra des ambulanciers qui communiqueront avec l'hôpital.
"Un des grands changements à être survenus sur le plan du secours aux blessés est l'extension du service 9-1-1 à la quasi-totalité du Québec", signale Claire Laberge-Nadeau, qui vient de publier, avec l'étudiante au doctorat Isabelle Huot et le chercheur Stéphane Messier, un premier guide complet sur les services offerts aux blessés de la route.
Mais cette initiative n'est qu'un exemple des changements survenus dans les soins aux victimes de la route avant, pendant et après leur séjour à l'urgence. Dans un document des services préhospitaliers d'urgence du ministère de la Santé et des Services sociaux, on note par exemple que l'objectif d'intervention visé est de 8 minutes en territoire urbain, 15 minutes en territoire suburbain et 45 minutes en territoire "très isolé".
Mais l'essentiel du guide produit par le Laboratoire sur la sécurité des transports est consacré aux services posthospitaliers. Il s'agit d'un inventaire complet des services offerts aux blessés de la route, des politiques d'indemnités de la Société de l'assurance automobile du Québec aux camps de vacances spécialisés pour personnes souffrant d'un handicap physique ou intellectuel. On trouve aussi de l'information sur les services de réadaptation, les aides techniques, les ressources résidentielles, le transport adapté, etc. Le guide, disponible au Centre de recherche sur les transports, est intégralement accessible sur Internet à l'adresse www.crt.umontreal.ca/CRT/guide-blesses-route/
Ce travail, mené comme un véritable projet de recherche universitaire, a nécessité deux ans de recherche et a été rendu possible grâce à un don de la fondation Jean-Meloche. Cette fondation, dont la mission est d'encourager les jeunes chercheurs, a été créée en 1994 en l'honneur du fondateur de la compagnie d'assurances Meloche-Monnex. "Les assureurs connaissent bien les conséquences des accidents de la route; ils sont donc sensibles aux programmes de prévention et aux recherches dans le domaine", conclut Mme Laberge-Nadeau.
M.-R.S.