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Les clones sont parmi nous

Clonage scientifique, oui; clonage reproductif, non, dit Axel Kahn.

Axel Kahn


Généticien français de réputation internationale et membre du Comité consultatif national d'éthique, le Dr Axel Kahn a reçu, le 23 octobre dernier, un doctorat honorifique de l'Université de Montréal. Forum l'a interrogé sur quelques enjeux de l'heure.

FORUM: Vous avez rencontré "personnellement" Dolly. Qu'avez-vous ressenti?

AXEL Kahn: Rien. Mes enfants craignaient que son statut de vedette ne lui soit monté à la tête. Ce n'est pas le cas. C'est une brebis cabotine comme n'importe quelle autre. Mais sur les plans philosophique et intellectuel, Dolly a changé beaucoup de choses. D'un seul coup, l'un des mythes les plus enracinés de notre civilisation est passé du domaine du magique au domaine du possible. Ce n'est pas la panique. C'est différent de l'invention d'une arme atomique par exemple. Le clonage représente un danger moral qu'il ne faut pas prendre à la légère. Cela ouvre la porte à des pressions économiques, des développements scientifiques et des prises de position religieuses dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord.

Dans votre dernier livre, Copies conformes, vous prenez position pour le clonage scientifique mais contre le clonage reproductif humain. Croyez-vous qu'on pourra tracer aussi facilement la démarcation?

Je suis un scientifique. J'aime ce mouvement de l'esprit qui amène à comprendre et à expliquer la nature des choses et à transmettre nos connaissances aux générations suivantes. C'est une démarche fondamentalement humaine. Je ne suis pas prêt à accepter qu'on mette des panneaux d'interdiction dans certaines avenues. Mais il ne faut pas fouler aux pieds la liberté d'autrui pour un motif scientifique. La société a donc le devoir de fixer les limites.

Pris comme un moyen de comprendre la différenciation cellulaire, l'embryogenèse, la programmation du destin nucléaire par les mécanismes biochimiques du cytoplasme, le clonage est un outil d'une extraordinaire puissance. Je me réjouis qu'après avoir cloné des grenouilles on y parvienne chez la souris, un animal de laboratoire particulièrement utile. Cela dit, plus on développe des outils, plus la réglementation de ces pouvoirs nouveaux sur l'homme se fait sentir.

Que faut-il craindre?

Le clonage thérapeutique se fera sûrement, et à mon avis on va un peu trop vite dans cette direction. Je m'explique. Un traitement prometteur permet actuellement de greffer des cellules saines sur un organe malade. Mais nous faisons face à un problème de rejet. Si l'on parvenait à greffer des cellules clonées, ce problème disparaîtrait.

Prenons un exemple. J'ai une maladie de foie. Ma fille me donne un ovocyte dont on a retiré le noyau. On y dépose le noyau d'une de mes cellules. La nouvelle cellule pourrait devenir un bébé, mais on choisit plutôt d'en faire une cellule hépatique. En cultivant cette cellule embryonnaire dans un vase de Pétri auquel on ajouterait de l'acide rétinoïque, on pourrait créer un foie sain qui me serait transplanté.

C'est actuellement possible?

C'est envisageable. Cette technique est à l'origine d'un vote à la Chambre des représentants américains visant l'interdiction du clonage. Il y a une forte probabilité pour que cette technique se développe assez rapidement.

Un débat assez vif a eu lieu dans Nature à ce sujet.

Le Comité consultatif national d'éthique français a été attaqué par les Anglais pour avoir suggéré d'interdire ce type d'usage ainsi que le clonage reproductif. On y trouvait les arguments classiques: d'un côté l'utilitarisme justifié par le bien commun, de l'autre le principe kantien voulant que l'humain ne doive pas être vu comme un moyen.

Que signifiera la dignité de l'embryon en tant que "projet de personne humaine" quand on fera des embryons pour "quelque chose" et non pour "quelqu'un"? Il me semble que, malgré les objectifs légitimes d'une telle thérapie, on aura franchi un pas de trop.

Pragmatiques, les Anglais se sont déjà avancés dans cette voie. Il faut dire qu'en Angleterre la recherche est autorisée sur les embryons de moins de 14 jours. En France, toute recherche sur l'embryon est interdite.

Vous avez autrefois exprimé un sérieux optimisme quant à la thérapie génique. Qu'en est-il aujourd'hui?

Cette approche du "gène médicament" est séduisante. Mon laboratoire à l'institut Cochin travaille beaucoup là-dessus. Sans aucun doute, il existe des domaines thérapeutiques qui profiteront de cette technique. Cela dit, il serait illusoire de penser qu'on réglera ainsi les grandes pathologies humaines. Cela demeurera difficile. Peut-être pour toujours.

Vous avez écrit: "La recherche scientifique est un domaine de création comme l'art ou la littérature." Est-ce que son financement en déclin est un obstacle à la créativité?

Les chercheurs connaissent des conditions difficiles, c'est clair. Mais il ne faut pas sous-estimer la recherche financée par l'industrie. La Suisse, où le financement privé est beaucoup plus important que le financement public, est le pays qui a produit le plus de Prix Nobel.

Je crois que la recherche scientifique est, avec les arts en général, un des plus grands espaces de liberté qui nous restent. Il faut se battre pour que cela continue.

Est-ce que vous êtes de ceux qui croient que tout est dans les gènes?

Nos gènes nous ont donné un cerveau capable de nous fournir les moyens de notre indépendance. Les moyens d'échapper à la tyrannie du déterminisme génétique.

Mathieu-Robert Sauvé


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