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Réapprendre aux singes à vivre en singes

Une étudiante passe trois mois dans la brousse congolaise pour réintroduire des chimpanzés dans leur milieu naturel.

Il n'y a pas de pierre dans la réserve où sont réintroduits les chimpanzés. Jeannette a dû apprendre, de sa professeure Véronique Léger, à se servir d'un bout de bois en guise de casse-noisettes.

Si l'on n'a pas besoin d'apprendre à un singe à faire des grimaces, il faut parfois lui montrer comment se comporter en singe. C'est l'étrange tâche à laquelle s'est livrée l'été dernier Véronique Léger, une étudiante du Département d'anthropologie.

"Je me suis toujours intéressée à la faune africaine et plus particulièrement aux primates, souligne-t-elle. Ce goût s'est développé au fil de nombreux séjours que j'ai effectués en Afrique à l'occasion de voyages d'affaires qu'y faisait mon père."

Visitant les parcs et les réserves d'Afrique du Sud et d'Afrique de l'Ouest, Véronique Léger s'est mise à ramasser tout ce qu'elle trouvait sur les chimpanzés et les gorilles. "Ils m'ont tellement passionnée que j'ai décidé de me consacrer à l'étude de ces proches parents pour en faire une carrière."

Mais avant de se lancer dans de telles études, Véronique Léger a voulu voir, sur le terrain, ce que pouvait signifier la vie auprès des primates. Dans sa recherche de documentation, elle met la main sur un article racontant le travail d'une association inconnue nommée HELP, pour Habitat écologique et liberté des primates. Basée au Congo, HELP s'occupe de réintroduire des chimpanzés dans leur habitat naturel.

Pour Véronique Léger, c'est l'occasion rêvée. Elle s'inscrit comme bénévole à l'association et repart pour l'Afrique quelque mois plus tard.

Le travail qui l'attend n'a rien d'une partie de plaisir. "Les conditions étaient plutôt rustiques", reconnaît la future primatologue. Rustique semble ici un euphémisme: le camp est situé dans l'une des régions les plus pauvres du Congo, où il n'y a ni route ni école. Les bénévoles logent dans des cabanes faites d'un toit et d'un demi-mur et ils doivent souvent marcher dans l'eau jusqu'à la taille pour aller nourrir les chimpanzés, quand ce n'est pas d'avoir à les transporter sur leur dos. Ils se déplacent le plus souvent en pirogue, parce que le seul moteur disponible est toujours en panne, sur une rivière encombrée de branches et de troncs d'arbres. "Mais l'aventure a été extraordinaire", ajoute-t-elle.

Observation des structures sociales
À l'origine, HELP n'était qu'un sanctuaire hébergeant des chimpanzés saisis aux mains de braconniers ou de propriétaires qui les détenaient illégalement. Lorsque le nombre de pensionnaires est devenu trop grand, les responsables du centre d'accueil se sont entendus avec le gouvernement du Congo pour les réintroduire dans la Réserve de faune et de flore de Conkouati, dans le sud-ouest du pays.

Le gouvernement leur a cédé trois îles, en bordure de la Réserve, pour leur permettre de réhabituer les chimpanzés à vivre dans la nature avant d'être relâchés dans le parc. Pour le gouvernement congolais, l'objectif est de renforcer la population sauvage de chimpanzés.

"En plus d'avoir à fournir les soins aux chimpanzés, le travail consistait à observer les comportements sociaux et la structure d'un groupe de 14 individus afin de déterminer quels étaient les meilleurs candidats au retour à la vie sauvage", explique Véronique Léger.

Les chimpanzés vivent en société composée de plusieurs mâles et de plusieurs femelles. Des rapports hiérarchiques existent chez les deux sexes, mais la structure sociale est en mouvance constante; les groupes se font et se défont fréquemment à la faveur d'alliances ou de l'arrivée de nouvelles femelles qui migrent d'un groupe à l'autre. Comme le mâle dominant n'acceptera pas la présence d'un nouveau mâle adulte sur son territoire, seules les femelles et les mâles adolescents seront sélectionnés pour les remises en liberté.

"La réintroduction en milieu naturel est une opération très délicate et très complexe, poursuit l'étudiante. Il faut connaître les comportements des candidats, les conditions de nourriture dans l'environnement choisi, prévenir les conflits territoriaux pouvant éclater avec d'autres singes déjà sur place. Des expériences effectuées en Tanzanie, au Gabon au Sénégal et au Liberia ont échoué parce qu'elles n'ont pas été suffisamment bien planifiées."

Les responsables de ces opérations doivent également tenir compte du stress que cela représente pour l'animal qui, en plus de se retrouver dans un endroit inconnu, doit subir le choc de la capture et de l'anesthésie.

"Malgré ces difficultés, deux remises en liberté réalisées par HELP en 1996 et 1997 ont réussi puisqu'on a observé des échanges entre les deux groupes", souligne Véronique Léger. Les opérations ont été supervisées par Caroline Tutin, une primatologue renommée du Centre international de recherche médicale de Franceville, au Gabon.

Empathie
"Une telle expérience ne nous fait pas seulement apprendre des choses sur les chimpanzés. On apprend aussi à les aimer, déclare Véronique Léger. Ils ont chacun leur personnalité, comprennent leur nom et sont très attachants. Après trois mois passés avec eux à les soigner, on développe une très grande empathie à leur égard. Ils me manquent..."

Si les conditions climatiques le permettent, la prochaine remise en liberté pourrait avoir lieu en janvier prochain. Et si le contexte politique le permet, Véronique Léger espère bien être du voyage afin de poursuivre ses observations qui pourraient constituer la base d'un projet de maîtrise.

Daniel Baril


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