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Une neuropsychologue dans la chambre des joueurs

Les joueurs de hockey risquent de souffrir de la démence pugilistique qui affecte les boxeurs.

Maryse Lassonde

Quand la neuropsychologue Maryse Lassonde regarde un match de hockey, elle retient son souffle chaque fois qu'un joueur du Canadien de Montréal reçoit un coup de coude au visage ou subit une solide mise en échec. Si une bataille est sur le point de s'engager, c'en est trop. Elle zappe! "Je ne veux pas voir ça", dit-elle.

C'est que le travail de cette chercheuse de renom, lauréate du prix Marcel-Vincent 1998 de l'ACFAS, consiste à établir un inventaire complet des commotions cérébrales subies par les joueurs de la "sainte flanelle". Cela signifie qu'elle a fait une évaluation approfondie de la condition des 25 joueurs de l'équipe ainsi que celle d'une quarantaine de recrues afin de tracer toutes les histoires de cas. Puis, en cours de saison, elle est appelée aussitôt qu'un joueur se blesse à la tête. Le jour même ou le lendemain de l'incident, elle procède à une réévaluation dans le but d'observer les moindres changements d'habiletés psychomotrices.

C'est à Mme Lassonde, de pair avec le médecin de l'équipe, Doug Kennear, que revient la décision d'autoriser ou non un retour au jeu. "Un joueur qui retourne trop vite sur la glace risque gros, dit-elle. Une seconde commotion cérébrale dans un court laps de temps peut entraîner des séquelles permanentes. Elle peut même être fatale."

Au moins deux joueurs professionnels de la Ligue nationale de hockey ont dû, au cours des dernières années, mettre fin à leur carrière d'une manière prématurée à cause de commotions cérébrales. Brett Lindros, le frère du joueur étoile des Flyers de Philadelphie, et Pat Lafontaine, des Rangers de New York, ont tous deux gardé des séquelles de violents chocs à la tête.

On sait depuis longtemps que les boxeurs à la retraite souffrent d'une pathologie bien documentée: la démence pugilistique. "On savait moins que les joueurs de hockey étaient également à risque, explique la professeure du Département de psychologie. Chez le Canadien de Montréal, par exemple, le tiers des joueurs réguliers ont subi l'an dernier des commotions légères."

Ces accidents ont parfois peu d'effets. Mais les plus graves peuvent provoquer une perte de conscience, une perte de mémoire visuelle ou verbale, une amnésie, des maux de tête, des nausées, des vertiges. Ces effets peuvent s'étendre sur une journée, une semaine ou plus encore...

C'est à Mark Lovell, du Henri Ford Hospital, à Détroit, et à Ruben Echemendia, de l'Université Pennstate, qu'on doit l'initiative de cette recherche menée d'un océan à l'autre, des deux côtés de la frontière. "Les 26 villes qui ont une équipe dans la Ligue nationale de hockey participent à ce projet de grande envergure, dit Mme Lassonde. Dans chaque ville, on a recruté un neuropsychologue pouvant évaluer la condition des joueurs d'une manière uniforme. Les données ainsi recueillies sont acheminées dans une grande banque de données."

Les chercheurs américains ont eu l'idée de ce projet à la suite d'une recherche effectuée en 1995 auprès des footballeurs professionnels, un groupe d'athlètes subissant aussi des commotions cérébrales à répétition.

De bons patients
Pour Mme Lassonde, qui ne regardait jamais le hockey auparavant, cette recherche a été en quelque sorte une révélation. "J'avoue que j'avais quelques préjugés. Mais j'ai dû réviser mes positions. Les joueurs professionnels possèdent des qualités exceptionnelles. Les tests ont révélé qu'ils ont une capacité attentionnelle bien au-dessus de la normale. De plus, leur résistance à la douleur est incroyable. J'en ai vu se prêter sans mot dire aux examens tout juste après avoir subi une blessure sérieuse. J'ai acquis un grand respect pour ces joueurs."

La collaboration avec le personnel médical du club de hockey a été fort enrichissante, et les joueurs se sont montrés très réceptifs. "Il règne parmi les joueurs une solidarité que je ne soupçonnais pas. Ils s'inquiètent par exemple pour tel ou tel joueur qui a subi une commotion cérébrale il y a peu de temps."

Pour des raisons de confidentialité du protocole de recherche et des dossiers médicaux, Mme Lassonde refuse de donner des détails précis sur le questionnaire ou sur l'état de santé des hockeyeurs du Canadien. Mais elle compte éventuellement trouver un moyen de publier des résultats. L'un des intérêts de cette recherche sans précédent est la collecte de données sur un mal somme toute méconnu.

La science pourrait bénéficier de l'analyse d'une telle somme de renseignements. "À condition d'en faire une liste non nominative, spécifie-t-elle. Le hockey étant un sport très médiatisé, il serait facile pour un partisan attentif de retracer les joueurs en cause si nous mettons simplement quelques détails."

Par ailleurs, cette recherche l'a placée sur la route de la neurochirurgienne Karen Johnston, de l'Université McGill, qui tente de mettre au point un test neuroradiologique permettant de mesurer une commotion cérébrale. "Actuellement, il n'existe aucun test objectif qui permet de dire si une personne souffre ou non de commotion cérébrale et, si oui, à quel degré. Si tout va bien, notre expérience pourrait mener à l'élaboration d'un tel test."

Le public concerné dépasserait alors largement le seul milieu sportif. Quand on pense à tous les gens qui ont l'impression d'avoir perdu certains réflexes à la suite d'un accident de voiture notamment, on comprend les grands services qu'un test semblable pourrait rendre sur le plan diagnostique.

Mathieu-Robert Sauvé



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