Mario Beauregard |
Mario Beauregard, professeur au Département de radiologie et chercheur au Centre de recherche de l'Institut universitaire de gériatrie, est parvenu pour la première fois à démontrer une corrélation entre les aspects subjectifs des émotions et l'activation neuronale.
Du même coup, il a découvert des différences quantitatives majeures dans cette activation selon le sexe de la personne, les cerveaux des hommes et des femmes ne réagissant pas de la même façon aux stimuli provoquant le dégoût et l'excitation sexuelle.
Trois émotions
Diverses recherches sur l'activation neuronale tendaient jusqu'ici à
montrer que certaines zones précises du cerveau, notamment l'amygdale
et l'hypothalamus, jouaient un rôle dans l'expression des émotions.
Une des hypothèses actuellement en vogue, soutenue notamment par
le neuropsychologue Joseph LeDoux, auteur du Cerveau émotionnel,
veut que les différentes émotions prennent appui sur des centres
neurologiques différents.
C'est ce que Mario Beauregard a voulu vérifier. Il a soumis 10 hommes et 10 femmes à des stimuli suscitant trois émotions, soit l'amusement, le dégoût et l'excitation sexuelle. Dans les trois cas, le chercheur a eu recours à des films comme stimuli, soit un épisode de Mr. Bean pour susciter l'amusement, une scène de mutilation corporelle pour provoquer le dégoût et un extrait de film sexuellement explicite pour éveiller l'excitation sexuelle. Un film considéré comme émotionnellement neutre (une scène de menuiserie!) servait de stimulus contrôle.
Pendant que se déroulait l'expérience de stimulation, un scanographe enregistrait les données des zones d'activité cérébrale liées à chacune des émotions. Les sujets avaient également à noter l'intensité de leurs émotions sur une échelle allant de zéro à huit.
"C'est la première fois qu'une étude de ce genre établit un partage aussi net entre trois émotions et recourt à ce mode d'induction", souligne Mario Beauregard.
Différences entre hommes et femmes
Les résultats de cette recherche, qui constitue en fait le travail
de doctorat de Shérif Karma, révèlent des choses très
intéressantes. Il en ressort d'une part que ce sont globalement les
mêmes centres neurologiques qui sont activés par chacun des
trois stimuli émotionnels.
Ces principaux centres sont le cortex préfrontal médian, l'amygdale, le thalamus et l'hypothalamus. D'autres zones secondaires sont activées, "mais il y a peu de spécificité neurologique liée aux trois émotions mesurées, indique Mario Beauregard. Ceci contredit donc l'hypothèse de Joseph LeDoux. Toutefois, l'activité du cortex préfrontal médian corrobore son hypothèse voulant que des régions non limbiques jouent un rôle dans les émotions."
Les résultats confirment d'autre part qu'il existe des différences émotionnelles significatives entre les hommes et les femmes. Sur le plan du dégoût, l'évaluation subjective des femmes atteint une moyenne de 6,4 contre 4,3 chez les hommes. La différence est également majeure du côté de l'excitation sexuelle: 2,8 pour les femmes et 4,0 pour les hommes.
L'intérêt de tout cela, c'est qu'il y a corrélation parfaite entre cette évaluation subjective et l'étendue des zones d'activation montrées par le scanner. Plus les participants ont jugé leurs niveaux de dégoût et d'excitation sexuelle élevés, plus l'étendue et le nombre de zones neurologiques activées se sont avérés importants. Et c'est sur le plan de l'excitation sexuelle que les images montrent la plus grande différence, les hommes affichant une activité neurologique beaucoup plus intense que les femmes.
Quant à Mr. Bean, il réussit à amuser aussi bien les hommes que les femmes. Les images montrent en effet très peu de différences pour l'amusement, ce qui correspond encore là à l'évaluation subjective, qui est identique pour les deux groupes de sujets, soit 3,8.
"Il y a donc une relation entre l'intensité de l'émotion subjective et les mesures effectuées par la scanographie", en conclut le chercheur, qui prend soin d'ajouter que corrélation ne signifie pas nécessairement lien de cause à effet.
S'il est difficile de contester le fait que les femmes ont montré, subjectivement et objectivement, plus de sensibilité à l'égard des scènes de mutilation, il est par contre plus difficile de conclure de cette étude que les hommes ont une libido plus forte que les femmes. Il est fort possible en effet que le matériel érotique du film pornographique, conçu par des hommes pour des hommes, n'excite guère les femmes. "Nous prenons ce fait en considération, répond Mario Beauregard. Nous poursuivrons d'ailleurs cette recherche en recourant à d'autres types de stimuli érotiques."
Le faible nombre de participants ne permet par ailleurs pas de déterminer si les femmes qui se sont dites les plus stimulées sexuellement affichaient une plus forte activité neuronale que les autres.
Mario Beauregard poursuivra ces travaux en faisant appel notamment à des jumeaux et à des gens de cultures différentes afin de déterminer quels sont les composantes génétiques et culturelles de ces différences entre hommes et femmes.
Daniel Baril