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Daniel Boisclair, écologiste des poissons

Le biologiste veut éviter que l'activité humaine malmène ses protégés.

 
L'«écologiste des poissons», Daniel Boisclair, explique le fonctionnement d'une caméra stéréoscopique sous-marine. À l'arrière-plan, de jeunes saumons de l'Atlantique attendent le prochain protocole de recherche.

Quand la société Alcan a offert au professeur Daniel Boisclair de venir pêcher le saumon sur la rivière Sainte-Marguerite - une offre qu'habituellement on ne refuse pas -, il a décliné l'invitation. «Pêcher le saumon? C'est ma job, dit-il. Allez-vous demander à un ébéniste de faire des meubles durant ses fins de semaine?»

C'est que le biologiste sillonne les rivières depuis près de 20 ans à la recherche d'indices pour mieux connaître le saumon anadrome (qui s'adapte à l'eau douce et à l'eau salée). Il l'a fait d'abord en Colombie-Britannique dans le cadre d'études postdoctorales, puis au Québec. «La population de saumons, tant sur la côte ouest que sur la côte est, est vascillante. Comme cette population est très difficile à étudier en mer, à cause des courants, de la température de l'eau et des grandes distances que le poisson franchit, c'est en rivière qu'on peut parvenir à le suivre avec précision. Je me suis donc concentré sur l'étude des habitats des tacons, ces jeunes saumons qui n'ont pas connu l'océan.»

Mais comment déterminer la qualité de l'habitat? Des modèles informatiques sophistiqués sont d'un certain secours, mais rien ne vaut l'observation sur le terrain, dont le laboratoire de M. Boisclair s'est fait une spécialité. Cela signifie installer une sonde hydroacoustique dans des lacs laurentiens afin d'observer 24 heures par jour les mouvements des truites et ménés. Ou bien placer des caméras sous-marines dans des rapides. Ou encore, dans le cas présent, envoyer des plongeurs compter un à un les tacons dans une section de rivière (voir l'encadré).

«Le saumon est une espèce territoriale, dit le chercheur. Chaque individu s'installe donc derrière une pierre, ce qui lui permet d'économiser son énergie pour attraper une larve d'insecte charriée par le courant. Nos études cherchent à déterminer les caractéristiques de cet habitat.»

Des connaissances utiles
Dans un pays où 96% de l'électricité provient de turbines hydroélectriques, les applications de ces connaissances sont évidentes. «Dès qu'on prévoit modifier le débit d'un cours d'eau par un barrage, un détournement ou même la construction d'un pont, il est important d'en connaître les conséquences sur la population de poissons, signale M. Boisclair. Depuis quelques années, les mégaprojets sont peut-être un peu moins en vogue, mais les besoins énergétiques en eau n'ont pas diminué. Au contraire. La mode semble être plutôt aux petites centrales, plus proches des endroits habités.»

L'entreprise privée garde un oeil sur les travaux du laboratoire de M. Boisclair. La société Alcan est elle-même initiatrice du Centre interuniversitaire de recherche sur le saumon atlantique, qui regroupe une dizaine de chercheurs de quatre universités québécoises et de l'INRS. C'est dans ce centre, construit au bord de la rivière Sainte-Marguerite, au nord du Saguenay, que les travaux de M. Boisclair sont menés.

«Ce que nous cherchons à savoir, en bref, c'est: quel est le prix énergétique à payer pour un saumon s'il vit à tel ou tel endroit dans la rivière? Déploie-t-il plus d'efforts s'il se trouve près de la rive? en eau profonde? Si nous trouvons des réponses à ces questions, nous pourrons mieux connaître l'impact des modifications des cours d'eau sur l'environnement.»

Spécialiste de la perchaude
À titre d'«écologiste des poissons» — c'est ainsi qu'il se décrit-, M. Boisclair a été consulté dans la mise sur pied d'un projet original: la première pisciculture de perchaudes au Québec. Située dans la région de Valleyfield, cette pisciculture montre des signes encourageants après un an d'exploitation. En effet, même si le producteur n'a pas encore réalisé de ventes (le marché exige des poissons d'au moins 125 grammes), le biologiste a noté une croissance au-delà des espérances dans les quatre bassins ensemencés de 200 000 larves.

«La perchaude a longtemps été considérée comme une peste, explique le chercheur. Il n'existait donc aucune réglementation. La pêche était permise n'importe où, en tout temps, et les pêcheurs n'avaient pas de limites de prises. La pêche commerciale dans les lacs Saint-Pierre, Saint-Louis et Saint-François a eu des effets dévastateurs sur plusieurs populations. L'âge de la reproduction a beaucoup diminué. Aujourd'hui, la 'belle perchaude' est rare dans nos lacs. Paradoxalement, des pêcheurs dans les Cantons-de-l'Est se décrivent sans honte comme des pêcheurs de perchaudes. Certains en connaissent plus que moi sur les moeurs de ce poisson.»

Le projet de pisciculture, que M. Boisclair décrit comme le moins écologiste de ses travaux, permettra peut-être de diminuer la pression de pêche dans les cours d'eau québécois. Déjà, le gouvernement a réévalué ses positions et la pêche à la perchaude est plus réglementée qu'autrefois.

Mathieu-Robert Sauvé

Un poisson, deux poissons, trois poissons...

Un travail de bénédictin, c'est ça! Vêtu d'une combinaison isothermique et muni d'un masque de plongée et d'un tuba, Jean-Christophe Guay a passé l'été 1996 à compter un à un les tacons d'une section de 1,4 kilomètre dans la rivière Sainte-Marguerite. Il notait aussi scrupuleusement, pour les quelque 800 individus surpris dans leur habitat naturel, le diamètre des pierres dans leur environnement immédiat, la hauteur de la colonne d'eau au-dessus de leurs nageoires, la vitesse du courant et leur position géographique précise. Jamais un tel relevé de jeunes saumons atlantiques n'avait été fait sur une si longue distance en milieu naturel.

La transposition des données topographiques sur une carte donne une série de points qui épousent le lit de la rivière. Mais le travail ne sera pas terminé tant que ces données ne seront pas analysées en comparaison avec le modèle théorique qui sert actuellement pour qualifier l'habitat du saumon. «Depuis des années, explique l'étudiant à la maîtrise, on utilise un certain modèle d'évaluation de l'habitat du saumon. Mais on ne l'a jamais validé sur le terrain. C'est ce que j'ai voulu faire.»

Le logiciel mis au point par Michel Leclerc, de l'INRS, tient compte de l'écoulement de l'eau et des courbes de préférences (les jeunes poissons préfèrent par exemple vivre en eau moins profonde que les plus âgés). C'est ce modèle qu'on utilise quand on veut connaître la qualité d'un cours d'eau. La recherche de Jean-Christophe Guay sur l'habitat d'étiage du saumon atlantique juvénile pourrait mener à un nouveau modèle plus près de la réalité.

Mais l'habitat n'est pas le seul principe à considérer. Pour être poissonneuse, une rivière doit connaître une bonne crue printanière afin de prévenir l'ensablement des frayères. La température de l'eau est également stratégique. En revanche, la modification du débit pourrait avoir des conséquences heureuses. Cela réjouira les constructeurs de centrales hydroélectriques. «Notre travail, signale l'étudiant, vise ultimement à apporter de meilleurs outils de gestion.»

M.-R.S.


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