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Etre ou ne pas être laïque

Dans l'ordre habituel: Jean Larose, Jacques T. Godbout, Micheline Milot et Solange Lefebvre. Quatre points de vue sur la laïcité.

"La dernière fois que je suis allé à la messe, j'ai eu envie de demander au prédicateur de se taire et de me laisser parler tellement m'attristait la platitude de son commentaire des Écritures."

En rapportant cette anecdote dans le dernier numéro de Théologiques portant sur la laïcité, Jean Larose révélait deux choses: qu'il allait à la messe et qu'il avait des choses à dire sur la Bible. En réalité, le professeur du Département d'études françaises se décrit lui-même comme un "mécréant attaché au catholicisme et qui en pratique les textes" ou, encore plus cocasse, comme un "non-croyant pratiquant".

Invité à présenter son point de vue au cours d'un débat public auquel prenaient part trois autres auteurs du numéro, M. Larose a signalé qu'il ne se sentait pas à son aise sur un terrain qui n'était pas le sien. Mais il tenait à affirmer que, si la religion chrétienne supportait si mal la modernité, c'était sans doute à cause de son propre fondement.

Comme il l'écrit dans son texte intitulé "Père le dieu": "L'étreinte qui noue la Vierge et son fils crucifié incarne pour moi le génie de la religion catholique pour les formes de l'amour qui sont les plus cruelles, mais aussi les plus révélatrices de l'humanité de la vie. Le christianisme fait mal, le catholicisme encore plus parce qu'il ne cesse de rappeler que l'humanité est une condition intenable."

Par ailleurs, selon M. Larose, il faut connaître les racines de notre culture pour bien comprendre les grands auteurs de la littérature française. La chose ne va pas de soi dans des sociétés "laïcisées" même si celles-ci doivent leur modernité à l'héritage de la tradition judéo-chrétienne. Dans une culture de consommation, on a tendance à tout jeter au panier après utilisation.

"Les médias, écrit-il, peuvent ridiculiser et même insulter le catholicisme et ses représentants, les intégristes ou les mafieux de partout, assassiner des catholiques sans que cela bouleverse. Une bombe qui éclate dans une mosquée ou une synagogue déchire aussitôt notre conscience anticolonialiste ou réveille l'horreur de l'antisémitisme; mais rien de tel ne se gendarme en nous quand on tue des moines en Algérie ou des prêtres ouvriers au Brésil."

Une façon de vivre ensemble
Bien qu'absent de la table des participants, le journaliste Jean Pichette, du Devoir, confesse dans son texte du numéro thématique de Théologiques que le débat sur la laïcité l'ennuie. C'est que les dés lui semblent pipés...

"Nous aurions d'un côté (à gauche?) la laïcité, portée par les lumières de la Raison, synonyme de progrès et d'émancipation; de l'autre la religion, viciée en son essence même par l'aliénation - rappelons-nous 'l'opium du peuple' de Marx - et bornée par un conservatisme impénitent. Dans ce schéma binaire, l'autonomie ne pourrait loger qu'à l'enseigne de la laïcité."

Les choses ne sont pas si simples. La sociologue Micheline Milot, de l'UQAM, perçoit la laïcité comme une conception particulière de la relation entre le politique et le religieux qui a été trop limitée à une idéologie anticléricale. C'est devenu en quelque sorte un dogmatisme antireligieux.

Dans son allocution, elle a cherché à dégager ce concept des arguments qui le discréditent. "C'est une façon de vivre et de penser le politique qui s'oppose à la théocratie mais aussi à la religion institutionnalisée", dit-elle. Bref, une façon de vivre ensemble.

Concept dépassé?
Pour le sociologue Jacques T. Godbout, la laïcité est peut-être un concept dépassé. "Les États-Unis d'Amérique ont réussi à être laïques sans jamais avoir à prononcer le mot. A-t-on encore vraiment besoin d'un concept comme celui-là?"

La France a donné naissance à cette idée de laïcité. Pourtant, elle n'a pas le monopole de la tolérance. Avec leur modèle de démocratie représentative, les Anglo-Saxons ont une autre idée de la communauté. Au Québec, comme d'habitude, on est quelque part entre les deux.

"Au départ, explique l'auteur de l'Esprit du don, la laïcité, c'est simplement une entente, un compromis, un traité de paix entre les catholiques et les antireligieux. Mais rapidement, elle va devenir la conception française des rapports entre l'État et la religion, puis la société civile."

Les choses se compliquent quand on aborde la question de l'éducation. "La laïcité implique que l'école soit soustraite à la société civile et les enfants à l'autorité des parents lorsqu'ils sont à l'école, car ils y viennent pour apprendre à devenir libres, à penser par eux-mêmes et, à cette fin, il est nécessaire qu'ils fassent table rase de leurs croyances, quitte à les retrouver plus tard, librement."

Cela démontre qu'on a peut-être encore besoin de débats sur la laïcité... C'est en tout cas ce que la théologienne Solange Lefebvre, directrice de ce numéro, a laissé entendre dans sa conclusion.

Mathieu-Robert Sauvé

Solange Lefebvre (dir.), Autres regards sur la laïcité, numéro thématique de la revue Théologiques, de la Faculté de théologie, vol. 6, no 1, 118 pages; abonnement annuel: 10$.


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