Émile Martel |
Il a connu l'Espagne de Franco, tremblé au Mexique, enseigné le français en Alaska, déjeuné au champagne avec le Tout-Paris culturel. Aujourd'hui, il a un bureau au Département d'études françaises et il dit se sentir "un peu complexé". "Vous savez, je ne suis qu'un amateur éclairé en culture littéraire. Quand je regarde les travaux des professeurs ici, autour de moi, je prends conscience de mes limites."
M. Martel, qui a été prêté par le ministère des Affaires étrangères afin de vivre une expérience "en résidence" dans une université canadienne, n'est pourtant pas en terre inconnue. Après avoir obtenu un baccalauréat en lettres à l'Université d'Ottawa, puis une licence en études hispaniques à l'Université Laval, il a poursuivi des études de doctorat à l'Université de Salamanque, en Espagne. Il a en outre une carrière d'écrivain qui n'a rien à envier aux autres. Il a même gagné un prix du Gouverneur général en 1995 pour son recueil Pour orchestre et poète seul (Écrits des forges).
"Vous savez, la carrière d'ambassadeur à l'étranger est à l'opposé de celle d'universitaire, dit-il. Il faut savoir faire du politique au Mexique, du culturel en France et il faut savoir s'adapter à toutes sortes de situations inattendues. Je suis donc un généraliste. Mais je n'ai jamais abandonné ma démarche littéraire."
L'année qui commence sera l'occasion, pour cet écrivain à deux chapeaux, de laisser s'épanouir une créativité littéraire qui était réduite à s'exprimer les soirs et les week-ends seulement puisqu'il est depuis 31 ans au service des Affaires étrangères.
Cela ne veut pas dire que la porte de M. Martel sera fermée. Au contraire, il est impatient de rencontrer des collègues. Il se plaint même d'avoir peu de visiteurs. "Je suis là pour les étudiants, dit-il. Mais ils ne savent pas que j'existe. Quant aux professeurs et chercheurs, ils m'ont déjà fait l'honneur de m'inviter à des conférences et séminaires. Mais je suis encore capable d'en prendre!"
De Amos à Madrid
Né à Amos, en Abitibi, puis élevé à Québec,
Émile Martel a eu son choc culturel à l'adolescence quand
son frère aîné lui a jeté dans les mains un roman
de Federico García Lorca. "J'ai été tellement
secoué par cette lecture que je me suis juré qu'un jour je
lirais son oeuvre dans le texte."
Pendant ses études de premier cycle, il apprend l'existence d'un programme de bourses offertes aux étudiants étrangers par le gouvernement espagnol. Cela semble une absurdité puisque l'Espagne est dirigée par le dictateur Franco. Mais le programme existe bel et bien et Émile Martel est l'heureux gagnant d'une de ces bourses.
"Cette anecdote influera sur mes idées quant à l'importance des politiques culturelles. Vous rendez-vous compte? Pour 500$ investis en 1959, le gouvernement espagnol a gagné un ambassadeur permanent. Jamais, depuis ce moment, je n'ai cessé d'être un défenseur inconditionnel de la culture espagnole."
Parallèlement à son travail aux ambassades de San José (Costa Rica), Paris, Madrid et Mexico, M. Martel est devenu traducteur d'oeuvres littéraires espagnoles. "Jamais, dit-il, un pays ne perd des dollars investis dans la culture."
Bienvenue à la science politique
L'investissement du ministère des Affaires étrangères
dans son "ambassadeur en résidence" doit, lui aussi, rapporter
des dividendes. Aussi M. Martel se tient-il à la disposition des
étudiants qui souhaitent s'informer des possibilités d'emploi
du gouvernement canadien à l'étranger. Des rencontres avec
les étudiants en science politique sont déjà inscrites
à son agenda.
Forum a pu apprécier l'habileté diplomatique de M. Martel en l'interrogeant sur la représentation québécoise au sein d'une ambassade canadienne comme celle de Paris.
"Honnêtement, je vous dirais qu'il y a concordance d'intérêts au sein des délégations canadienne et québécoise à Paris. Les choses se passent bien dans la grande majorité des dossiers - immigration, culture, commerce, coopération pour les projets d'éducation, etc. -, car tous y gagnent. Là où ça se gâte, c'est quand les politiciens s'en mêlent."
Il reste cependant des phénomènes surprenants. Comment se fait-il que des romans de Canadiens anglais généralement traduits (Jane Akaert, Mavis Gallant, Margaret Atwood, Nancy Huston) soient si populaires en France, alors que la littérature écrite et publiée au Québec connaît le même succès que la littérature zouloue? Cela, admet M. Martel, relève de l'étrangeté.
On peut joindre l'ambassadeur en résidence au 343-6065. Son bureau est le 8026 au Pavillon 3150 Jean-Brillant.
Mathieu-Robert Sauvé