Bernard Brais, chercheur à la Faculté de médecine et directeur de l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations depuis mai dernier |
"Le Québec constitue un laboratoire unique au monde pour la recherche sur la génétique des populations. Des données généalogiques très précises et très complètes nous permettent de remonter jusqu'à l'origine du groupe fondateur composé de 7200 personnes qui se sont établies ici à partir de 1620. Nulle part ailleurs dans le monde ne peut-on retrouver de données aussi précises pour une période aussi longue."
Bernard Brais, neurologue généticien au Pavillon Notre-Dame du CHUM et directeur de l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP), a toutes les raisons de se réjouir de cet état de choses. Ce que les spécialistes appellent "l'effet fondateur" lui a en effet permis, ainsi qu'à deux autres chercheurs, de découvrir le gène de la dystrophie musculaire oculopharyngée (DMOP), maladie dont le Québec a le plus haut taux au monde avec 1 personne affectée sur 1000.
Les principaux symptômes de la DMOP sont un affaissement des paupières et une difficulté de déglutition. Le caractère héréditaire de la maladie et le fait que les cas les plus sévères se retrouvent dans les mêmes familles permettaient de croire à une origine génétique. Comme la maladie ne se manifeste qu'après l'âge de 50ans, il n'y a pas d'effet sélectif empêchant la diffusion du gène.
Mutation de 12 000 ans
"Nous avons émis l'hypothèse que tous les gens atteints
au Québec devaient être reliés généalogiquement,
avance le chercheur. À partir d'un échantillon de 42 familles,
nous avons reconstruit la généalogie ascendante de 33 individus
atteints. Les 33 pistes nous conduisent toutes à un même couple
de Français dont trois des filles sont venues s'établir ici
en 1648."
L'équipe a pu consulter pour cette étude la banque de données du Programme de recherche en démographie historique, un projet sous la responsabilité de Bertrand Desjardins, chercheur au Département de démographie.
Une fois la filière remontée, les analyses génétiques ont montré que les gens atteints avaient tous un chromosome présentant une région identique. "Par différents croisements et clonages positionnels, nous sommes parvenus à cerner, sur ce chromosome, le gène responsable de la maladie et à constater qu'il y avait eu mutation du gène", affirme Bernard Brais.
"En nous basant sur les données moléculaires et sur le nombre de méioses nécessaires pour que le changement se produise dans la matrice génétique, nous avons également pu relier les cas européens à une famille ayant vécu il y a approximativement un millier d'années. De la même façon, nous pouvons estimer que la première mutation est apparue il y a 10 000 ou 12 000 ans."
L'équipe a même mis au jour six mutations différentes qui produisent des formes plus ou moins sévères de la dystrophie musculaire oculopharyngée. La découverte du gène fautif facilitera grandement le diagnostic de la maladie, qui ne pouvait jusqu'ici être diagnostiquée que par une biopsie complexe. La découverte ouvre également la porte à la recherche d'un traitement qui consisterait à bloquer l'ARN messager avant qu'il produise la protéine responsable de la mutation.
Un cas typique d'effet fondateur
Cette partie de la recherche, qui est en fait le volet canadien-français
d'une étude internationale portant sur 144 familles de 20 ethnies,
a été effectuée alors que Bernard Brais était
professeur à l'Université McGill. Il a voulu poursuivre ses
travaux dans un hôpital associé à l'Université
de Montréal afin d'être en contact plus étroit avec
les descendants du groupe fondateur français. "Ce genre d'étude
serait impossible dans une population trop mixte", soutient-il.
Cet aspect de l'effet fondateur est d'ailleurs ce qui séduit le plus le chercheur. "L'observation de l'établissement géographique des descendants des trois soeurs atteintes de la DMOP correspond à l'expansion de la maladie au Québec, constate-t-il. Au Québec, on peut dresser une carte généalogique qui colle à la carte génétique. Nous pouvons alors chercher l'effet qu'un environnement donné peut avoir sur une mutation. Autrement dit, observer comment une population modifie son pool génétique sous l'influence de son nouvel environnement."
Le Québec offre ainsi des possibilités de recherche qui devraient intéresser les chercheurs américains et européens. "Des six mutations liées à la dystrophie en question, celle du Québec est aussi celle qui est la plus répandue en Europe. Nous voulons donc montrer par cette recherche que les mutations qui sont communes au Québec reflètent celles qu'on peut rencontrer en Europe. L'avantage, c'est que les banques de données démographiques dont nous disposons et la petite taille du groupe fondateur permettent d'arriver très rapidement à des résultats qui ne seront pas différents de ce qu'on pourrait trouver en Europe. Le Québec est ainsi l'endroit idéal pour rechercher un gène mutant."
"De grandes découvertes sont à faire de ce côté", prédit le directeur de l'IREP.
Daniel Baril
Créé en 1994 sous la forme qu'on lui connaît aujourd'hui, l'Institut interuniversitaire de recherches sur les populations (IREP) regroupe sept universités et tire ses origines des travaux amorcés en 1971 par Gérard Bouchard, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi. Le professeur Bouchard dirigeait alors un vaste travail visant à utiliser les données des registres de l'état civil du Saguenay pour des recherches en histoire sociale et en démographie historique.
Le projet s'est ensuite étendu à l'ensemble du Québec et est maintenant connu sous le nom de fichier de population BALSAC, géré par l'IREP.
L'IREP poursuit un double objectif: étudier l'évolution de la société québécoise dans une perspective comparative et selon la problématique des collectivités neuves et poursuivre le développement du fichier BALSAC et son exploitation dans le domaine des sciences sociales et de la génétique humaine.
Les activités scientifiques comprennent quatre volets: la gestion et l'élaboration de banques de données; le Programme de recherches sur la démographie, l'économie et les structures sociales; le Programme de recherches en génétique des populations; et le Programme de recherches sur les dynamiques culturelles.