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Euthanasie

Les médecins néerlandais ne sont pas des meurtriers

Ils travaillent tout simplement dans un milieu plus tolérant et plus transparent.

John Griffiths

Le cas de Robert Latimer, ce fermier de la Saskatchewan condamné pour avoir tué ("par compassion") sa fille atteinte de paralysie cérébrale, a relancé le débat sur l'euthanasie. Auparavant, au gré des événements médiatiques, le Canada s'était interrogé sur le phénomène de la mort assistée à l'occasion des cas de Nancy B. et Sue Rodriguez.

À la Faculté de droit, on n'attend pas que les médias s'emparent d'un sujet pour s'y intéresser. John Griffiths, professeur de sociologie du droit à l'Université de Groningue, aux Pays-Bas, a été invité il y a plusieurs mois à venir prononcer une conférence sur la question. C'est que le pays des moulins à vent est le seul au monde à avoir rendu légale l'euthanasie.

"L'euthanasie est légale, oui, mais pas à n'importe quelle condition", explique d'entrée de jeu le spécialiste, laissant entendre que le geste de M. Latimer aurait été considéré comme un meurtre même dans le système néerlandais.

La raison en est simple: l'euthanasie n'est admise que dans un contexte médical et encadré par une procédure complexe. Seuls les médecins peuvent accomplir des gestes visant de façon passive ou active à abréger la vie.

 

42% des décès

À en croire les statistiques néerlandaises, les médecins sont de véritables "tueurs en série", car 42% des décès survenus en 1995, soit 56 700 des 135 500 morts, résulteraient d'"actes médicaux visant à abréger la vie" ("medical behavior of shortening life"). Ce nombre a augmenté de 4% entre 1990, date de l'étude précédente, et 1995.

Il faut dire que cette statistique inclut aussi bien l'euthanasie active que la suspension d'un traitement inopérant. Dans les trois quarts des cas, ces interventions ont lieu sur des personnes qui ont une espérance de vie de moins d'un mois. Dans un cas sur deux, cette espérance de vie n'atteint pas une semaine.

Au total, une très faible proportion du nombre de décès (2,4%) est due à l'euthanasie proprement dite. Le plus souvent (20% des décès), la mort résulte de la décision du médecin de s'abstenir de recourir à un traitement, suivie de près (18,5% des cas) par des méthodes visant à réduire la douleur. Le conférencier a expliqué que, dans cette dernière catégorie, les médecins ne s'entendent pas sur l'effet des antidouleurs sur le processus mortifère. Par exemple, la morphine cause-t-elle la mort ou non?

Pour John Griffiths, un chercheur d'origine américain qui vit à Groningue depuis 20 ans, les médecins des Pays-Bas ne sont pas pour autant des meurtriers. Ils travaillent simplement dans un milieu plus tolérant qu'ailleurs dans le monde. Selon lui, les médecins occidentaux pratiquent régulièrement diverses interventions visant à abréger la vie, mais le système de santé où ils sont intégrés ne permet pas la transparence. "Les Néerlandais sont les seuls à admettre ouvertement la pertinence des actes médicaux visant à abréger la vie, dit-il. Même les personnes âgées sont rassurées à l'idée de savoir qu'elles vont mourir dans la dignité."

Des facteurs culturels expliquent cette ouverture d'esprit inusitée. Mais des facteurs sociaux aussi. Ainsi, les médecins de famille sont très nombreux aux Pays-Bas. Or, un médecin qui suit un patient depuis plusieurs décennies, qui connaît ses enfants, son milieu familial et ses habitudes de vie a une meilleure idée de ce que signifie "mourir dans la dignité"...

Pour le sociologue du droit, la situation libérale préconisée par les Pays-Bas pourrait cependant être encore plus tolérante. Actuellement, seule l'euthanasie fait partie de l'absolution du code criminel. Rien n'empêche la famille d'une personne décédée de poursuivre un médecin trop conciliant pour avoir manqué à son devoir. Or, de l'avis de M. Griffiths, tous les principaux actes médicaux visant à abréger la vie devraient être à l'abri du cadre criminel. En cas de litige, le jugement de la compétence du médecin serait alors laissé au soin des pairs.

 

Un modèle à imiter?

Il semble que cette légalisation de l'euthanasie soit possible dans un contexte particulier. Les Pays-Bas sont manifestement un cas à part. "Il y a là un haut degré de respect pour la pratique médicale, explique John Griffiths. Mais par extention, on parle beaucoup plus dans ce pays d'autorité médicale que de droits des patients. De plus, la population est très homogène et la religion y a peu de poids. Je ne dirais pas qu'elle n'en a aucun, mais presque. De plus, il y a une ouverture d'esprit très particulière chez les Néerlandais. Notamment à propos de la sexualité. On y lit des articles qu'on ne pourrait jamais trouver ailleurs dans le monde, pas même en Scandinavie..."

Après avoir étudié la philosophie et le droit aux universités de Californie et Yale, M. Griffiths a voyagé et a jeté l'ancre à Groningue en 1977. Il publiera un livre sur le sujet en février prochain: Euthanasia and Law in the Neitherlands (Amsterdam University Press/University of Michigan Press). Sa conférence, prononcée au salon des professeurs de la Faculté de droit, était la troisième d'une série sur "les incertitudes du droit", organisée par le professeur Ejan Mackaay.

Mathieu-Robert Sauvé


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