Des lamproies et des hommes |
Une découverte du Centre de recherche en sciences neurologiques ouvre des pistes de recherche pour le traitement des lésions de la moelle épinière. |
Réjean Dubuc |
Il peut paraître étonnant qu'une lamproie, parasite primitif et plutôt repoussant, avec un cerveau pas plus gros qu'une tête d'épingle, puisse être utile à la compréhension des mécanismes complexes du cerveau humain.
Cette bestiole des mers a en effet permis à l'équipe du professeur Réjean Dubuc, du Centre de recherche en sciences neurologiques (CRSN), de faire un pas de plus dans les connaissances de la neurobiologie de la locomotion.
"Contrairement à la souris, le cerveau de la lamproie est l'un des plus simples qui puissent exister chez les vertébrés et ses neurones, qui se comptent par milliers plutôt que par milliards, sont très gros, explique le Dr Dubuc. Cela facilite l'étude des mécanismes neurobiologiques à la base des mouvements comme la nage ou la marche. La locomotion est l'une des premières fonctions retenues par l'évolution. Il est réaliste de penser que l'organisation sensori-motrice de la lamproie, apparue il y a 450 millions d'années, est la même que celle des autres vertébrés, y compris l'homme."
Les recherches effectuées au CRSN portent entre autres sur la régénération des tissus nerveux et sur la pharmacologie de la moelle épinière. Toute connaissance fondamentale dans ce domaine est d'une très grande utilité pour la recherche d'un traitement thérapeutique des lésions de la moelle épinière et des paralysies qui en découlent.
On savait déjà que le moteur de la marche est situé dans la moelle, alors que le centre de contrôle donnant l'ordre de marcher se trouve dans le tronc cérébral. L'équipe du Dr Dubuc a mis en lumière le rôle des récepteurs au glutamate, un neurotransmetteur présent dans les cellules nerveuses, dans le déclenchement de la commande motrice.
Un cerveau de lamproie, étendu sur une lame de microscope et maintenu fonctionnel par une solution saline, a permis aux chercheurs d'observer la transformation d'une réaction cellulaire sensorielle en une commande motrice.
"Lorsque nous exerçons une légère pression sur la peau de la lamproie, nous pouvons enregistrer, dans les neurones de commande du tronc cérébral, une réponse proportionnelle à cette pression, explique Réjean Dubuc. Mais à un certain seuil de pression, il se produit une dépolarisation prolongée déclenchant la nage et la queue de la lamproie se met alors à bouger."
Les chercheurs ont observé que la transformation de la fonction de la cellule - qui passe d'un rôle sensitif à un rôle moteur - s'effectue par les récepteurs au glutamate. Lorsque ces récepteurs sont activés par ce neurotransmetteur, ils laissent entrer du calcium dans la cellule; on suppose que le calcium permet le maintien de la dépolarisation prolongée à la base de l'activation de la nage.
"Il est fort probable que ces mécanismes se retrouvent dans d'autres régions du cerveau, jouant un rôle dans le contrôle des mouvements", soutient le Dr Dubuc, qui compare le cerveau de la lamproie à une Lada, alors que le cerveau humain serait une Rolls Royce.
La guérison des quadraplégiques n'est pas pour autant à portée de main, mais "si l'on veut concevoir des traitements efficaces, il faut d'abord savoir comment la mécanique fonctionne", souligne le chercheur. Sa découverte ouvre de nouvelles avenues, notamment dans les traitements visant l'imitation des commandes motrices, en injectant par exemple dans la moelle épinière des solutions provoquant l'excitation des neurones.
Ces travaux réalisés au CRSN ont fait l'objet d'un article publié dans la prestigieuse revue Science du 7 novembre dernier. Outre Réjean Dubuc, l'article est cosigné par Gonzalo Viana Di Prisco, Edouard Pearlstein et Richard Robitaille.
L'équipe poursuit ses recherches afin de déterminer quelles sont les limites de la réaction observée et de comprendre les mécanismes qui en permettent l'arrêt.
Daniel Baril