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Pour redonner du sens aux mathématiques

Des équipes internationales cherchent à comprendre les processus d'apprentissage des mathématiques.

Jean Portugais

Les réformes en enseignement au Québec, on connaît ça. Chaque décennie apporte ses nouvelles approches censées combler les lacunes des méthodes en usage, puis on recommence.

Pour Jean Portugais, professeur au Département de didactique, cet éternel recommencement doit cesser. "Depuis les années 1960, l'enseignement des mathématiques a connu une réforme tous les cinq ou sept ans, déclare-t-il. Le rythme est si rapide que le milieu est incapable d'absorber les changements et d'analyser les résultats des réformes précédentes. Et chaque fois, les demandes sont déraisonnables; on voudrait une méthode qui marche à tout coup."

À son avis, il faut cesser de rechercher la méthode miracle - ce qui relève de l'idéologie, soutient-il - et s'attacher plutôt à comprendre les processus par lesquels se fait l'acquisition des connaissances mathématiques.

"Ces mécanismes sont tout aussi complexes que les phénomènes sociaux ou psychologiques, mais on ne s'est jamais attardé à les observer ou à les décrire. Comment réagit l'élève devant un problème? Quels sont les comportements observés? Quelles sont les conséquences des choix de l'enseignant? Quelle est la nature du lien maître-élève? Faire de l'enseignement des mathématiques une science en soi est un projet révolutionnaire qui devrait occuper la communauté scientifique pour une génération ou deux. Une fois les mécaniques analysées, nous pourrons peut-être proposer de nouvelles méthodes."

 

Sur les pas du pionnier

On ne fait que commencer à s'attaquer à cette tâche, qui semble pourtant élémentaire. L'approche de Jean Portugais est en fait celle de Guy Brousseau, professeur à l'Université de Bordeaux I et pionnier de la didactique des mathématiques. L'Université de Montréal lui décernait d'ailleurs un doctorat honoris causa en juin dernier au cours d'un colloque sur l'enseignement des mathématiques organisé par Jean Portugais et ses collègues.

"La méthode de Guy Brousseau est basée sur la présentation de problèmes à résoudre afin que l'élève puisse donner un sens aux opérations qu'il effectue et évite de les reproduire machinalement, explique le professeur. En mathématiques, le besoin de connaissances n'est pas spontané, d'où la nécessité de créer des situations à résoudre plutôt que d'élaborer des méthodes."

Avant de transmettre une formule de mesure de la distance par exemple, on cherchera à amener les élèves à comprendre, par des expériences simples mais révélatrices, qu'un étalon de mesure est nécessaire. Bref, faire surgir le besoin avant d'enseigner une solution dont on ne connaît pas l'utilité.

En mathématiques comme dans toute autre matière, la transmission des connaissances dépend des conditions dans lesquelles s'effectue l'enseignement et la didactique des mathématiques cherche en fait à comprendre ces conditions afin de pouvoir les contrôler. Mais pour arriver à un système d'enseignement qui évite les écueils, il faut d'abord être en mesure de décrire la procédure d'apprentissage.

"Les processus ne sont pas les mêmes s'il s'agit de mathématiques, d'algèbre ou de géométrie, ni s'il s'agit d'addition ou de division, poursuit Jean Portugais. Il faut donc trouver les régularités et établir une typologie de la procédure. Certaines erreurs, comme l'oubli d'un zéro dans le résultat d'une division - 4560 divisé par 15 donnant 34 -, sont observées dans tous les pays et ne dépendent pas de la méthode utilisée; elles peuvent être amenées par le contenu même des chiffres utilisés. Connaître ces pièges nous permet de dédramatiser l'erreur puisqu'on sait que, si l'élève la commet, ce n'est pas parce qu'il ne comprend pas la division."

Ce catalogage, tiré de l'observation en laboratoire comme en milieu réel, est par ailleurs fort complexe et les chercheurs qui sont à l'oeuvre au Canada, en Europe et en Amérique latine se butent à des difficultés de reproductibilité, admet Jean Portugais.

Au Québec, la situation actuelle est toutefois propice à la transmission de cette nouvelle approche puisqu'il y aura bientôt un important renouvellement du corps enseignant au primaire et au secondaire. "C'est l'occasion de procéder à une formation initiale des enseignants en fonction de cette approche et même d'en faire une application en recherchant les meilleures situations pour la transmettre à ces futurs enseignants", souligne le didacticien. C'était d'ailleurs l'un des objectifs de son colloque de juin dernier, qu'il compte bien transformer en événement biennal dès l'an prochain.

 

Performances des Québécois

Devant les excellents résultats obtenus par les élèves du Québec, qui se sont classés premiers au récent test de mathématiques du Conseil des ministres de l'Éducation du Canada, on est porté à croire que la situation de l'enseignement des mathématiques n'est pas si mauvaise au Québec.

Jean Portugais demeure toutefois très prudent devant ces résultats, qu'il hésite à commenter. Certains analystes ont avancé que la présentation des questions par résolution de problèmes utilisée à cette épreuve était plus près des méthodes employées au Québec, comme quoi les fréquentes réformes que nous avons "subies" auraient au moins eu l'effet positif de nous placer à l'avant-garde.

Une explication que ne rejette pas Jean Portugais. "Il faudrait analyser les tests et comparer avec ce qui se fait dans les écoles avant d'expliquer les résultats. Si c'est une vague de fond, je m'en réjouis; mais je demeure sceptique et il faudra attendre encore pour le savoir."

Le professeur de didactique nous met même en garde contre un enthousiasme trop hâtif: "Le succès, dit-il, peut avoir l'effet pervers de nous inciter à cesser l'effort." Ce qui serait désastreux alors que la science de l'enseignement des mathématiques n'en est qu'à ses balbutiements.

Daniel Baril


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