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Des orchidées indigènes bientôt chez l'horticulteur

Deux chercheurs étudient leur mécanisme de reproduction.

Denis Barabé et Marc Saint-Arnaud

Le Petit Robert définit l'orchidée comme une "plante des climats chauds". Pourtant, une cinquantaine d'espèces d'orchidées poussent sous nos latitudes. Le sabot-de-la-vierge (Cypripedium acaudale) est l'une d'elles.

"Non seulement retrouve-t-on des orchidées dans les régions tempérées comme la nôtre, mais ces plantes intéressent de plus en plus les horticulteurs", explique Denis Barabé, chercheur à l'Institut de recherche en biologie végétale (IRBV) et professeur associé au Département de sciences biologiques. Ces plantes aux formes gracieuses et aux couleurs chatoyantes revêtent même un intérêt commercial considérable, car les amateurs d'orchidées sont de plus en plus nombreux partout dans le monde. Plusieurs grandes villes (dont Montréal) possèdent un club d'orchidophiles.

Cette frénésie a poussé des collectionneurs à aller chercher des beaux spécimens directement dans la nature pour les transplanter dans leur jardin. Un geste qui peut s'avérer catastrophique, car certaines orchidées indigènes figurent parmi les plantes menacées du Québec.

Avec son collègue Marc Saint-Arnaud, rattaché à l'Université McGill, M. Barabé mène des recherches fondamentales et appliquées sur le mécanisme de reproduction de ces plantes complexes. Même si des botanistes étudient l'orchidée depuis plus d'un siècle, elle commence tout juste à révéler certains de ses mystères. "Les orchidées indigènes du Canada sont particulièrement méconnues, explique le chercheur. Un seul autre groupe de recherche au pays s'y consacre."

Les deux chercheurs insistent sur le fait que l'essentiel de leurs travaux porte sur des éléments fondamentaux de botanique; le volet appliqué n'est venu qu'après leurs premières publications. C'est que tout ce qui touche la culture de l'orchidée attire tôt ou tard l'attention des entreprises privées spécialisées en horticulture. Informée des travaux en cours au Jardin botanique depuis 1994, la société Norchids (filiale d'une compagnie pharmaceutique) a approché les chercheurs afin d'investir dans leur laboratoire. Leur but: élaborer des espèces commercialisables d'ici quelques années, ce qui n'est pas incompatible avec leurs recherches. "Au contraire, explique M. Saint-Arnaud. Si l'on parvient à produire des orchidées indigènes de manière contrôlée, nous pourrons éviter la destruction de certaines espèces, car les amateurs n'auront plus à aller s'approvisionner en forêt."

 

Kangourou et orchidée, même combat

Le principal obstacle des horticulteurs est invisible à l'oeil nu. "La graine de l'orchidée croît en symbiose avec un champignon microscopique appelé 'mycorhize', explique Marc Saint-Arnaud, titulaire d'un doctorat sur la relation symbiotique entre les végétaux et ces micro-organismes. Ce qui est particulier, c'est que ce champignon, indispensable au développement des orchidées, est connu pour être un parasite chez les autres plantes, donc nuisible."

Dans les laboratoires de l'IRBV, on tente de trouver la "recette" idéale pour la culture in vitro des orchidées sauvages. Dès les premiers stades de développement, on recherche les conditions optimales qui favoriseront la croissance de la plante en relation avec son champignon mycorhizien.

Mais ce n'est pas le seul problème des botanistes. La graine des orchidées, 1000 fois plus petite que celle d'un haricot, a un développement inégalé dans presque tout le règne végétal. À la différence d'une semence "ordinaire", qui contient l'essentiel de la plante à naître dans son tégument (enveloppe de la graine), la semence de l'orchidée est très rudimentaire. Le développement de la première tige et des premières racines a donc lieu presque entièrement hors d'elle-même. Un peu comme... un kangourou.

"Eh oui, explique M. Barabé. On pourrait dire que l'orchidée est aux angiospermes ce que le kangourou est aux mammifères. Dans la minuscule graine de l'orchidée, au moment de la germination, la masse globuleuse d'une centaine de cellules plus ou moins différenciées se gonfle et se libère du tégument. Par la suite, cette masse globuleuse en croissance prend différentes formes et différentes tailles selon l'espèce d'orchidée considérée. Dans les deux cas, l'expulsion de l'embryon hors de son contenant (le tégument chez l'orchidée et l'utérus chez le kangourou) correspond à une étape intermédiaire du développement embryologique, et non à un stade terminal."

 

Une grande famille

Comptant plus de 25,000 espèces, les orchidacées forment la deuxième famille de plantes les plus importantes au monde, après la famille des composées (pissenlits, chrysanthèmes, etc.). Ce qui la distingue, c'est qu'elle est actuellement en évolution active. Cela signifie que les espèces que nous avons à présent sous les yeux sont d'une très grande variété et colonisent la plupart des écosystèmes.

Les espèces qu'on trouve au Québec n'ont pas les mêmes caractéristiques que la quasi-totalité des espèces commercialisées. Ces dernières sont d'origine tropicale et "épiphytes", c'est-à-dire qu'elles poussent sur les arbres sans toutefois leur nuire. Aucune espèce indigène du Québec ne possède cette particularité.

Si les chercheurs parviennent à reproduire massivement les orchidées de climat tempéré, ces plantes ne deviendront jamais des plantes d'intérieur comme celles que les amateurs aiment à cultiver dans leur maison. Ces espèces auront besoin, n'en déplaise au Petit Robert, d'un long hiver et d'un court été. Comme pour une épinette noire!

Cela ne porte toutefois pas ombrage à leur fort potentiel commercial. "Il y a une nette tendance en aménagement paysager, visant à intégrer aux jardins des plantes sauvages", explique M. Saint-Arnaud.

Ces plantes nécessitent moins d'entretien, car elles sont déjà adaptées au climat. De plus, elles sont politiquement correctes...

Mathieu-Robert Sauvé


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