[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]

Évaluation des apprentissages: un fossé entre le discours et la pratique

Des volets complets du Règlement pédagogique sont ignorés.

L'équipe complète du GRIPU: à l'avant-plan, Jean-Marie Van der Maren, directeur du Groupe, et Collette Gervais; à l'arrière, Jean-Guy Blais, Marcienne Lévesque, Guy Pelletier et Michel Laurier.

"L'évaluation de l'apprentissage universitaire comporte plusieurs aspects méconnus qu'on ne désire pas toujours connaître", affirme Jean-Marie Van der Maren, directeur du Groupe de recherche interdisciplinaire en pédagogie universitaire (GRIPU) de la Faculté des sciences de l'éducation.

Pour lever une partie du voile sur cette dimension importante de la tâche du professeur, le GRIPU a effectué une étude détaillée des pratiques et des perceptions en vigueur au sein du corps professoral de l'Université de Montréal. En plus d'un questionnaire envoyé à 3766 professeurs et chargés de cours, les membres du GRIPU ont fait plusieurs entrevues de groupe (professeurs et étudiants) et analysé des plans de cours de divers départements.

Les résultats dévoilent une situation plutôt paradoxale. Même si une majorité de professeurs (57%) considèrent qu'ils ne subissent pas de contraintes quant à la façon d'évaluer les étudiants, 75% utilisent la même méthode, soit l'examen final écrit.

"Il y a pourtant d'autres méthodes, comme les travaux pratiques, l'évaluation formative, l'étude de cas ou l'évaluation par les pairs", souligne Michel Laurier, membre du GRIPU et l'un des trois principaux auteurs de l'étude avec le directeur et Jean-Guy Blais. Seulement 5% des professeurs recourent à l'examen oral et 2% au dossier d'apprentissage qui pourrait permettre une évaluation formative.

Dans la même veine, 67% des répondants reconnaissent que l'évaluation peut avoir un rôle bénéfique dans l'orientation de l'étudiant, mais la plupart s'en tiennent aux aspects purement sommatifs. Aux yeux du professeur Laurier, ce sont là des aspects révélateurs d'un écart entre le discours et la pratique, même s'il reconnaît que l'évaluation formative est coûteuse et très difficile à opérationaliser.

La standardisation des modes d'évaluation est loin d'être une bonne chose pour les membres du GRIPU. "Au contraire, elle montre que la réflexion sur la forme d'évaluation et son lien avec l'apprentissage n'a pas été faite, affirme Jean-Guy Blais. Le mode d'évaluation détermine la façon d'enseigner et la façon d'étudier. Les étudiants risquent d'adapter leurs stratégies comme si l'examen était une fin en soi."

"Dis-moi comment tu évalues, je te dirai comment tu enseignes", ajoute le directeur Van der Maren.

 

Non-respect du Règlement pédagogique

L'étude révèle par ailleurs que plusieurs pratiques sont non conformes au Règlement pédagogique de l'Université. Quatre éléments sont particulièrement concernés, soit la qualité du français, le travail en groupe, le jury d'évaluation et la notation littérale.

La moitié des professeurs n'accordent jamais de points (ou alors rarement) pour la qualité du français dans l'évaluation des travaux ou des examens. Pourtant, le Règlement pédagogique mentionne explicitement que "la consolidation des compétences linguistiques constitue un des objectifs d'un programme de premier cycle et entre dans les critères d'évaluation des travaux et examens".

Lorsque l'évaluation porte sur un travail fait en équipe, 75% des répondants indiquent qu'ils ne tiennent pas compte de la contribution individuelle de chaque étudiant. Ceci est de nouveau contraire au Règlement pédagogique, qui dit que "dans le cas d'un travail de groupe l'évaluation doit être individuelle".

Le même règlement prévoit que l'évaluation finale des étudiants doit être soumise à un jury composé des professeurs du département. Cette procédure viserait entre autres à réviser les cas problématiques. Mais 62% des répondants ont déclaré qu'il n'existait pas de tel jury dans leur unité d'enseignement.

Il y a une dizaine d'années, l'Université a adopté un système de notation littérale et c'est sous cette forme, plutôt qu'en pourcentage, que les résultats doivent être transmis aux étudiants. Près de 40% des professeurs l'utilisent toujours, mais 44% ne l'emploient jamais; 60% transmettent même toujours les résultats aux étudiants en pourcentage.

"L'évaluation littérale n'est pas passée dans les murs et l'on a là un autre exemple d'écart entre le discours de l'établissement et la pratique", souligne Jean-Marie Van der Maren. Son collègue Michel Laurier se questionne quant à lui sur la façon dont les professeurs effectuent le transfert entre les deux systèmes de notation. "Une adéquation uniforme entre les deux systèmes n'est pas possible et fausse l'esprit de la notation littérale, qui demande au professeur d'établir ce qui doit être excellent ou passable. Une note de 60% peut être passable dans un cas, mais excellente dans un autre."

 

Réalisme des règlements

Chacun des quatre éléments liés au Règlement pédagogique laisse les chercheurs plutôt perplexes; "ces règlements sont-ils réalistes, sont-ils applicables et, si oui, comment?" se demandent-ils à l'unisson.

L'une de leurs conclusions est justement d'inviter l'administration de l'Université à se questionner sur le sujet. "L'institution, écrivent-ils, doit s'assurer que le règlement pédagogique en vigueur n'est pas irréaliste ou tout au moins s'interroger sur les raisons qui font que certaines dispositions ne sont pas observées par une bonne partie du corps enseignant. Si on arrive à la conclusion que des règlements sont désuets ou inapplicables, il faudra les modifier ou les abroger. Si on conclut à leur pertinence, il faudra s'assurer que les conditions de réalisation sont présentes."

Jean-Marie Van der Maren insiste sur ce dernier point. "Donne-t-on aux professeurs les moyens de faire ce qu'ils voudraient faire lorsque, par exemple, on supprime le Fonds de développement de l'enseignement? Encore là, il y a un écart entre le discours et la pratique. Il n'y a pas assez de débats pédagogiques dans l'établissement et il est clair que des contraintes comme la grosseur des groupes obligent à certaines pratiques d'évaluation. On devrait se questionner sur les conséquences de nos choix et éviter de leurrer la clientèle."

Le GRIPU souhaiterait donc qu'un débat ait lieu sur le type de formation à privilégier au premier cycle et que soient adoptées des pratiques d'évaluation appropriées.

Des 3766 professeurs sollicités, 643 ont répondu au questionnaire, ce qui constitue un taux de participation de 17%. Les chercheurs estiment que les répondants sont représentatifs de l'ensemble des unités de l'Université. La gestion des apprentissages étant sensiblement la même dans les grandes universités, ils estiment également que les données de leur rapport tracent un portrait typique débordant la seule situation prévalant à l'UdeM.

Cette étude a bénéficié d'une subvention du vice-rectorat à l'enseignement. Trois autres professeurs y ont participé, soit Collette Gervais, Marcienne Lévesque et Guy Pelletier, tous membres du Groupe de recherche interdisciplinaire en pédagogie universitaire.

Daniel Baril


Le lien théorie-pratique

Créé en 1991, le Groupe de recherche interdisciplinaire en pédagogie universitaire (GRIPU) s'est donné comme objectifs d'étudier les pratiques de la formation professionnelle dans l'enseignement supérieur et de concevoir diverses formules d'intervention pédagogique. Il a été formé par des professeurs préoccupés d'assurer des liens entre la théorie et la pratique dans la formation des étudiants au collège et à l'université.

Considérant cette mission, on ne s'étonnera donc pas que les membres du Groupe aient été si sensibles à l'écart qu'ils ont observé entre le discours sur l'évaluation et les pratiques qui ont cours de ce côté.

L'approche retenue par le GRIPU est interdisciplinaire, tant pour ce qui est des théories de référence que des méthodes de traitement des données. Cela implique que "le GRIPU se refuse à faire la promotion d'une école de pensée pédagogique, le noyau d'attraction de ses membres étant la volonté d'asservir les théories à la solution des problèmes", lit-on dans un feuillet de présentation.

Par l'étude des gestes liés à l'enseignement, le GRIPU cherche à répondre aux questions fondamentales que devrait se poser tout professeur d'université: comment inculquer ou modifier des connaissances de façon que les étudiants s'y réfèrent dans l'action? Comment transmettre un savoir-faire dans une situation d'apprentissage professionnel? Quels sont les éléments qui favorisent l'insertion dans le milieu professionnel?

Outre le récent rapport sur l'évaluation des apprentissages à l'Université de Montréal, le GRIPU a produit un guide pédagogique à l'intention des professeurs en formation des maîtres à la suite de deux journées pédagogiques que le Groupe organisait sur le thème de la concertation. Le GRIPU a également produit un rapport de recherche sur le soutien accordé à l'enseignement à l'UdeM.

Les membres du Groupe ont de plus contribué à l'encadrement des projets présentés au Fonds de développement de l'enseignement.

D.B.


[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]