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Comment sauver les meubles...

Justin Lévesque publie un guide sur la médiation familiale en cas de divorce.

Au Québec, de 35% à 40% des mariages et unions de fait se terminent par un divorce ou par une séparation. Au Palais de justice de Montréal, quelque 10 000 de ces causes sont portées chaque année à l'attention des juges. Si la grande majorité se passe relativement bien ("à l'amiable", dit-on), une sur cinq tourne plutôt mal. "Certains couples vont s'entre-déchirer toute leur vie, dit Justin Lévesque, professeur à l'École de service social. Rien ne pourra leur enlever le besoin de se venger de l'autre."

Mais un nouveau mode de résolution des conflits est à la disposition des personnes qui désirent mettre fin à leur union sans se déchirer mutuellement devant les tribunaux. Depuis le 1er septembre 1997, toute personne engagée dans une procédure de divorce ou de séparation doit assister à une séance de médiation. Cette séance peut être suivie au besoin de cinq autres consultations individuelles avec un spécialiste de la médiation familiale. Le tout est gratuit. Gracieuseté du ministère de la Justice.

L'intérêt de l'État dans cette politique? "Désengorger les tribunaux, répond M. Lévesque. Dans les cas litigieux, on fait appel à des experts, des témoins; on demande une évaluation de l'état de santé psychologique des enfants en cause, etc. Tout cela est d'une grande lourdeur et coûte très cher. Et je ne parle pas des coûts psychologiques reliés à ce processus..."

La difficulté vient peut-être du fait que, s'il faut le consentement de deux personnes pour un mariage, une seule peut décider de divorcer. Et ce sont très majoritairement les femmes qui prennent cette initiative. Après une année de séparation, le divorce est acquis. Mais rien n'est alors réglé. "On peut mettre fin au couple, mais la famille demeure, signale Justin Lévesque. Où habiteront les enfants? Comment les biens seront-ils partagés? Comment les activités seront-elles réorganisées?"

Ma version et celle du menteur

À Montréal seulement, de 1500 à 2000 divorces ou séparations pourraient ainsi bénéficier, chaque année, de la séance obligatoire chez le médiateur. "La médiation n'est pas une cure miracle, souligne Justin Lévesque. Elle offre une chance aux parties en cause de trouver elles-mêmes une solution à leur litige. Sinon, c'est une tierce partie - le juge - qui la leur imposera."

Comme le disait à la blague un médiateur cité dans le livre de M. Lévesque, le problème vient du fait qu'il existe toujours deux versions dans un cas de divorce: la sienne et celle du menteur. "Pourtant, écrit M. Lévesque, la réalité, c'est que les deux disent la vérité. On présente deux versions d'une histoire de vie qui semblent se contredire totalement mais qui, prises séparément, ont autant de sens l'une que l'autre et semblent refléter la sincérité des deux personnes en processus de séparation ou de divorce."

Bien qu'il veuille éviter les atmosphères conflictuelles, qui ne sont pas toujours le meilleur terreau pour résoudre des problèmes, le médiateur entre souvent en jeu alors que la tension est à son comble. Il doit alors démontrer des qualités de psychologue pour permettre de transformer la colère en volonté de règlement. "Je dois donner aux gens l'occasion de s'exprimer, car l'expression est le meilleur remède à la dépression. Il faut donc soutenir autant la personne qui a décidé de divorcer que celle qui se sent trahie par cette décision."

Il arrive parfois que le couple interrogé par le médiateur veuille se donner une autre chance. Le spécialiste doit alors diriger les individus vers un thérapeute ou un conseiller conjugal. Il doit éviter de mettre soudain un chapeau d'intervenant en réconciliation. "Le médiateur n'est pas là pour apprendre aux gens à s'aimer de nouveau, dit M. Lévesque. Contrairement à ce qu'on croit parfois, la décision de divorcer est souvent mûrement réfléchie, et nous devons respecter cela."

Le sommaire des ententes, rédigé par le médiateur à la fin des consultations, n'a évidemment pas force de loi. Pour l'authentifier, un avocat présentera ce texte devant le juge. Mais un certain nombre de couples (environ 30%) préfèrent s'en tenir à ce contrat même si sa portée est limitée.

Approche interdisciplinaire

La médiation est une approche à court terme (six ou sept rencontres suffisent en général) qui peut être utilisée par des psychologues, des travailleurs sociaux, des conseillers en orientation, des notaires et des avocats. Par conséquent, les médiateurs ont leur angle particulier pour traiter le sujet. Et leurs forces... "Personnellement, j'étais autrefois intervenant en réconciliation familiale. J'ai donc une certaine facilité à écouter les couples, à leur faire exprimer leurs frustrations et besoins. En revanche, un avocat connaîtra mieux certaines conséquences légales."

Cette interdisciplinarité ne saurait nuire dans un domaine où la nature humaine peut être particulièrement imprévisible. D'ailleurs, le processus judiciaire encourageait la lourdeur du processus, chaque avocat cherchant à faire gagner son client.

Le barreau du Québec, qui s'était d'abord opposé à l'arrivée des médiateurs sur un terrain très lucratif qu'il occupait pratiquement seul, diffuse maintenant des annonces publicitaires à la télévision afin d'encourager la médiation. On y voit entre autres un couple qui se dispute sous les yeux d'un enfant. "Avant d'en venir là, consultez un avocat", dit le narrateur.

Le livre de M. Lévesque s'adresse à eux et à tous ceux qui pratiquent la médiation familiale. Il est le premier, à sa connaissance, à décrire la méthodologie du processus. "L'apprenti médiateur pourra considérer ce livre comme une bouée de sauvetage dans les eaux tumultueuses de la gestion du processus de médiation [...], écrit en préface John Haines, l'un des pionniers dans le domaine. Je peux imaginer plusieurs médiateurs consultant le livre après un entretien difficile afin d'apprendre comment faire mieux dans l'entrevue suivante."

La médiation, estime M. Lévesque, est une science toute jeune que la nouvelle réglementation québécoise permettra de faire connaître. À court terme, elle représente une source de débouchés intéressants pour les diplômés de l'École de service social, qui peuvent en apprendre les rudiments dans un cours de deuxième cycle et grâce à des stages.

Mathieu-Robert Sauvé

Justin Lévesque, Méthodologie de la médiation familiale, Edisem-Érès, 1998, 182 pages.


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