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Constructeurs de ponts...
entre les générations

Les jeunes sont les laissés-pour-compte du Québec moderne, constatent deux théologiens.

Trois membres du groupe de travail Le pont entre les générations en pleine discussion: la directrice Solange Lefebvre (à gauche), l'éducateur Philippe Lapointe et l'étudiante Marie-Ève Sylvestre.

De 1992 à 1996, alors qu'il se créait au pays 1,1 million d'emplois pour les travailleurs expérimentés, les jeunes perdaient, eux, 100 000 emplois. Les bons emplois ne leur ont jamais tant échappé: dans la fonction publique, les jeunes constituaient 43% des effectifs en 1976 et ils n'étaient plus que 6% en 1995. Pendant la même période, leur revenu a chuté de 26% et leur endettement s'est accentué.

"Je crois que le temps est venu d'avoir le courage d'admettre nos erreurs", dit Liliane Lecompte, présidente de l'Association québécoise des droits des retraités. Selon elle, les conventions collectives signées au cours des dernières années révèlent des iniquités qu'il faut corriger.

Le mea-culpa de la porte-parole s'inscrit dans le cadre d'une réflexion menée par un groupe de jeunes et d'aînés réunis par les théologiens Jacques Grand'maison et Solange Lefebvre. Le groupe compte des personnalités du milieu universitaire et du monde des affaires et des partenaires tels l'architecte Phyllis Lambert, la chancelière de l'Université McGill, Greta Chambers, et l'administratrice Francine Harel-Giasson.

"Nous voulons travailler à jeter les bases d'un nouveau pacte entre les générations qui protégera les perspectives d'avenir des jeunes et permettra aux aînés de partager leur expérience et de continuer à participer au développement de notre société", écrivent les membres du groupe dans un texte publié récemment dans plusieurs quotidiens.

 

Quelques exemples d'iniquités...

Ce n'est pas la solidarité intergénérationnelle qui frappe en ces temps de compressions. Sauf de rares exceptions (voir l'encadré), administrateurs et syndicats choisissent de préserver le salaire des anciens et de geler l'embauchage plutôt que de répartir l'effort pour créer de nouveaux postes pour la relève. Par ailleurs, les "clauses orphelins", qui révisent à la baisse les échelons salariaux pour les nouveaux venus sans toucher aux privilèges des travailleurs en place, ont été multipliées par quatre dans les conventions collectives québécoises entre 1985 et 1990. Quelque 8% des conventions prévoient de telles clauses. "Le gouvernement devrait légiférer afin d'interdire cette pratique", dit Mme Lecompte.

À l'issue d'une recherche à saveur sociologique menée durant sept ans auprès de 500 habitants des Basses-Laurentides, Jacques Grand'maison et Solange Lefebvre ont constaté que la variable "âge" était beaucoup plus significative que ce à quoi ils s'attendaient. Les jeunes sont apparus comme les laissés-pour-compte du Québec moderne. Leur recherche a eu un retentissement considérable; trois des quatre rapports de recherche parus aux Éditions Fides ont figuré sur la liste des best-sellers. Parmi les conclusions des auteurs: il y a un besoin urgent de raffermir les liens intergénérationnels. C'est ainsi que l'idée de créer un groupe de pression est née.

"La majorité des jeunes ne font pas partie d'un syndicat et sont donc uniquement protégés par les normes minimales de travail, lance François Rebello, qui fait partie du groupe. Tout concourt à leur appauvrissement."

Selon l'ancien secrétaire général de la FAECUM et de la Fédération étudiante universitaire du Québec, les iniquités intergénérationnelles sont aussi difficiles à faire comprendre et accepter que les inégalités basées sur le sexe l'étaient autrefois. Pourtant, on ne doit pas ignorer davantage les unes ni les autres, dit-il.

Il dénonce la mise à la retraite subite des milliers de fonctionnaires québécois, qui sont disparus avec leur expérience et leur expertise sans avoir eu le temps de les transmettre à la génération suivante. "C'est une erreur de technocrate; on leur a dit: 'Voici une pleine paie et restez chez vous.' Ça n'aurait pas été compliqué de leur dire: 'Voici une pleine paie et revenez deux ou trois jours par semaine.'"

Dans le milieu de la santé, cette idée de retraite progressive aurait pu réduire la surcharge des infirmières en poste, souvent jeunes, inexpérimentées et avides de modèles. De tels programmes fonctionnent très bien en Suède, notamment. "Un mythe veut que les personnes en fin de carrière soient écoeurées, reprend Philippe Charland, étudiant à la Faculté de théologie. Au contraire, elles ont très envie de transmettre leur expérience. D'ailleurs, un bon nombre de retraités reviennent sur le marché du travail après quelques mois."

 

Une chicane de famille

Dans les propos exprimés au cours d'une rencontre avec la presse le 13 novembre, le discours accusateur sur la génération de l'après-guerre a semblé avoir changé de ton. Le mot "baby-boomers" n'a d'ailleurs été prononcé qu'une seule fois, à la toute fin de la présentation.

"Les membres du groupe ont fait au moins 500 appels pour aller chercher des appuis, relate Solange Lefebvre. Je peux vous dire que les opposants ont été très rares. Les gens veulent une meilleure solidarité."

Ancien président de la Fédération de l'âge d'or du Québec, Philippe Lapointe a rappelé une phrase de Jacques Grand'maison: "Ça nous prendrait une bonne chicane de famille au Québec." Il ne s'agit pas de fomenter la guerre. Mais si l'on oppose des points de vue, comme les membres du groupe Le pont entre les générations l'ont démontré, il faut renoncer à l'harmonie totale. Et puis, une chicane, au moins, c'est le début de quelque chose...

Malheureusement, l'initiateur de ce groupe, professeur émérite de l'U de M, théologien, chanoine, sociologue, écrivain et grand constructeur de ponts entre exclus et nantis, M. Grand'maison, alors en convalescence, ne participait pas à cette rencontre.

Mathieu-Robert Sauvé


Une entente "intergénérationnelle" à l'UQTR

Quand est venu le moment de renouveler la convention collective des professeurs de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), la première idée a été de couper des postes afin de répondre aux exigences du gouvernement, qui imposait des compressions de 6 % aux établissements. Mais le syndicat a lancé un message clair aux porte-parole patronaux: pas question de réduire le nombre de postes.

"Le syndicat des professeurs, après consultation, a clairement fait entendre sa priorité: maintenir les emplois en place, préretraites ou pas. Je peux dire que nous sommes très contents du résultat", dit un jeune professeur qui préfère garder l'anonymat.

Sur les 371 professeurs de la communauté universitaire, 45 ont pris leur retraite et une quarantaine de nouveaux seront engagés d'ici les prochains mois. Ce nombre est impressionnant compte tenu de la baisse marquée des inscriptions dans cette université.

Comment ce tour de magie a-t-il été possible? C'est que la vacance de cotisation au régime de retraite des employés pour une période de deux ans, équivalant à une hausse de salaire de 6% avant impôt, a été versée à un fonds spécial destiné à l'embauchage de jeunes professeurs.

Ce règlement "intergénérationnel" ne s'est pourtant pas fait sans heurts. Les professeurs plus âgés ont vu leur prime de départ être substantiellement réduite par cet engagement, et même une partie des jeunes professeurs trouvaient que cette solidarité était cher payée après tous les efforts déployés pour atteindre leur but.

La solidarité intergénérationnelle: facile à dire, difficile à vivre.


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