[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]


Des bactéries mangeuses de pétrole

La Chaire industrielle en bioprocédés d'assainissement des sites les apprivoise.

Réjean Samson

La population et les autorités de Lasalle ont été étonnées d'apprendre, grâce à un reportage du Devoir la veille de l'Halloween, que la société Cintec entreposait des tonnes de sols contaminés dont la concentration en produits toxiques dépasse de plusieurs centaines de fois les normes du Règlement sur les déchets dangereux. La pollution des sols, au Québec, est telle que le site de Lasalle pourrait n'être que la pointe de l'iceberg.

"Le Québec a plusieurs problèmes concernant les sols contaminés", explique Réjean Samson, coresponsable avec Louise Deschènes de la Chaire industrielle en bioprocédés d'assainissement des sites à l'École Polytechnique. "Il y a les fuites de produits dangereux qui proviennent de la détérioration des réservoirs souterrains, les déversements accidentels, les parcs de résidus miniers, les sites contaminés résultant de l'activité industrielle: port de Montréal, canal Lachine, etc. Les sols contaminés sont beaucoup plus nombreux que la population le pense. D'ailleurs, il y en a trop pour qu'on puisse tous les décontaminer. Il faut faire des choix."

Selon M. Samson, ce type de pollution n'est pas aussi évident pour monsieur et madame Tout-le-monde que le sont une montagne de vieux pneus au bord d'une route ou une grande cheminée qui crache une fumée noire. Il s'agit d'une pollution souterraine, peu apparente jusqu'au jour où une odeur de gaz inhabituelle envahit les maisons. "Des fuites de pétrole dans les sous-sols de banlieue, ça arrive régulièrement", explique l'ancien responsable de l'environnement à l'Institut de recherche en biotechnologie.

Il faut alors chercher la station d'essence la plus proche, en activité ou fermée, et colmater rapidement la fuite. Mais la chose peut être encore plus dangereuse dans le cas de fuites de gaz inodores qui peuvent s'enflammer ou même exploser à la moindre étincelle.

 

Le Québec dans le peloton de tête

Pour Serge Cabana, président de la Grappe de développement des industries de l'environnement - l'une des 13 grappes industrielles mises en place par l'ancien ministre de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, Gérald Tremblay -, le Québec est résolument dans le peloton de tête en ce qui concerne les procédés de décontamination des sols. "On a élaboré ici une technologie qui peut compétitionner à l'échelle internationale en ce qui concerne la décontamination des sites. La France, notamment, est particulièrement intéressée par notre expertise."

Les biotechnologies sont l'une des forces de la région de Montréal en matière de recherche et développement. C'est dans ce domaine que la chaire de l'École Polytechnique s'est engagée. "Les procédés conçus ici mettent à contribution l'atténuation naturelle des polluants", résume M. Samson.

En clair, de nombreux polluants sont d'origine naturelle, et il existe dans la nature des agents bactériologiques et chimiques qui s'y attaquent. Les chercheurs ont eu la surprise de constater la chose lorsqu'ils prenaient des échantillons de sols à différentes distances: le polluant disparaissait littéralement à mesure qu'ils s'éloignaient de la source. Évidemment, l'atténuation naturelle est efficace lorsqu'il s'agit d'un petit volume. Quand les polluants sont trop abondants, ils atteignent la nappe phréatique et peuvent alors causer des problèmes sérieux.

Quoi qu'il en soit, les chercheurs de Polytechnique ont mis au point un type de réacteur qui purifie les sols contaminés en mettant à contribution les agents naturels. Dans les laboratoires avoisinant le bureau de M. Samson, on testait, au moment du passage de Forum, différents mélanges de matières organiques composés de copeaux de bois, de terre, de fumier et de micro-organismes. Pour lutter contre les polluants de l'essence - benzène, tolluène, éthylène et xylène -, il faut de 10 à 15 espèces de bactéries.

 

La technologie se raffine

En Europe, où certains sites sont très pollués, on réalise sur le tard que ce phénomène comporte des dangers. Pour reprendre le temps perdu, la France a tourné son regard vers les travaux américains et québécois dans ce domaine. La région Nord - Pas-de-Calais pourrait être un important client à court terme.

Au Québec, ce n'est pas la volonté de décontaminer qui fait défaut. On ne manque pas de sites non plus. C'est sur le plan de l'analyse de risque que les choses bloquent. "Il serait impossible de décontaminer tous les sites qui mériteraient de l'être, signale M. Samson. Cela coûterait trop cher. Nous devons donc sélectionner les sites en fonction de certains critères. Mais là, on ne s'entend pas."

Actuellement, la Loi sur la protection de l'environnement dit que tout réservoir muni d'une membrane simple doit être remplacé par un contenant muni d'une double membrane, plus sûre. Mais cette opération à grande envergure coûterait trop cher puisque, pour chaque réservoir remplacé, il faut retirer quelque 80 mètres cubes de terre contaminée. Cette terre est acheminée ensuite à l'une des 20 sociétés québécoises spécialisées dans le traitement des sols. Après la mise en terre du réservoir réglementaire, des chargements de terre neuve seront déposés dans le trou. Le travail sera achevé avec l'installation des réacteurs mis au point par la Chaire industrielle, qui filtreront les résidus de produits dangereux.

L'analyse du risque consiste à choisir quels sites doivent être traités de façon prioritaire. Il vaut mieux traiter un site qui voisine avec une prise d'eau ou une école, par exemple, qu'un autre au beau milieu d'un champ.

En plus de ses recherches techniques et de ses objectifs pédagogiques, la chaire a pour mission d'élaborer de nouveaux modes de gestion, d'offrir des services-conseils et d'assurer une veille technologique dans le secteur de l'assainissement des sites contaminés. Son budget de 1,4 million de dollars par année (l'un des plus élevés au Canada dans le domaine) est assuré par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et par 11 partenaires privés dont Pétro-Canada, Bell, SNC-Lavalin, Alcan et le Centre québécois de valorisation des biomasses.

Mathieu-Robert Sauvé


[page U de M][Accueil Forum][En bref][Calendrier][Vient de paraitre][Etudiants][Opinions]