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Coureur des bois et universitaire

Louis-Edmond Hamelin reçoit un doctorat honorifique de l'UdeM

Louis-Edmond Hamelin

En 1961, René Lévesque est nommé ministre des Ressources hydrauliques. Empressé de voir le Grand Nord québécois regorgeant de cours d'eau, il engage un pilote de brousse et demande à un spécialiste de l'Université Laval de l'accompagner. Le groupe monte à bord d'un petit hydravion à Poste-de-la-Baleine. Direction: Fort-Chimo, à l'extrémité est du continent.

"M. Lévesque était un homme nerveux, raconte celui qui a servi de guide au cours de ce voyage mémorable, Louis-Edmond Hamelin. Il voulait tout voir, tout comprendre tout de suite. Après une heure de vol, il me demande: 'Qu'est-ce qu'il y a icitte? - C'est la taïga. Il y a quelques caribous, un ou deux Indiens.' Deux heures plus tard, il me reposait la même question. Je lui donnai la même réponse. Ainsi de suite."

D'après M. Hamelin, qui relatait cette anecdote au cours d'une conférence au Département de géographie le 29 octobre, le voyage du ministre a tourné au cauchemar. René Lévesque réalisait subitement que le Grand Nord n'appartenait aux Québécois que sur papier. Aucun francophone ou presque n'y vivait. Cette réalité l'agaçait profondément.

Arrivé à Fort-Chimo, il est si découragé qu'il veut prendre un verre. Le seul bar du village n'ouvre pas avant 15 h à cause d'une loi québécoise. Le tenancier, unilingue anglais, veut bien faire une exception pour le dignitaire et ouvre sa porte au futur fondateur du Parti québécois. Mal lui en prit. "René Lévesque a piqué une colère noire, relate le géographe en rigolant. Il n'acceptait pas de se faire servir en anglais. Ce tenancier a payé pour la frustration accumulée."

Cette anecdote illustre bien le propos et le style de M. Hamelin, l'un des spécialistes les plus chevronnés de la nordicité. Invité à l'Université de Montréal pour recevoir son sixième doctorat honoris causa (parmi plusieurs honneurs dont les Palmes académiques de France), il avait tenu à joindre aux mondanités une allocution savante sur la territorialité, un sujet explosif en ces temps de partitionnisme et de revendications territoriales autochtones. Sa conférence marquait le début des festivités entourant le 50e anniversaire du Département de géographie.

 

Six facteurs

D'entrée de jeu, le chercheur, qui compte plus de 45 ans de vie universitaire, explique que le Québec inclut un territoire qui s'étend de l'État de New York à la baie d'Ungava. "Le problème, nuance-t-il, c'est que cette entité existe sur le plan légal, mais pas sur le plan éthique ou culturel. Cette faible cohérence entre le nord et le sud a d'importantes conséquences politiques."

Parmi une trentaine de facteurs qui expliquent ce phénomène pour le moins gênant, certains sont favorables au Québec, d'autres ne le sont pas. Le conférencier a choisi de présenter à son auditoire six de ces facteurs: les jalons coloniaux, la théorie du secteur, l'engagement administratif récent, la géopolitique de l'hydroélectricité, la relative absence nordique du Québec méridional et, enfin, la diversité des groupes autochtones en présence.

Le conférencier n'a pas insisté sur les jalons coloniaux, connus de tous. À son avis, c'est la géopolitique de l'hydroélectricité qui constitue l'argument le plus fort du Québec face aux revendications territoriales. C'est la convention de la baie James, signée en 1975 par le Québec, le Canada et les Cris, qui en est la base. "À ce chapitre, on doit beaucoup à Robert Bourassa", estime M. Hamelin.

"Peut-on rouvrir une convention pour reconnaître de nouveaux droits au Canada? Je l'ignore. Mais cette convention n'a pas d'équivalent au Canada et place le Québec très en avance. C'est une véritable charte pluriethnique, l'acte le plus déterminant de la nordicité. Il faut la lire; mais elle fait 980 pages..."

En gros, cette convention divise le nord en trois districts et reconnaît des droits aux autochtones. Ceux-ci, en échange, permettent aux représentants blancs d'exploiter certaines ressources. Ce texte ne règle cependant pas tout. "Quand je survole le Nouveau-Québec et que je vois les lignes à haute tension reliant LG 2 à Montréal, je réalise que ce sont des emprises extrêmement signifiantes. Ces lignes témoignent de la prise de possession du Sud sur le Nord. Mais les autochtones les perçoivent comme un rattachement sournois. D'où les discours enflammés de certains dirigeants sur le vol de leurs terres."

Il y a un siècle, en 1898, un explorateur avait prédit un développement fulgurant de la démographie en Hudsonie. S'il avait vu juste, cette région compterait 18 millions d'habitants aujourd'hui... Eh non, la population blanche demeure presque totalement confinée à la plaine du Saint-Laurent. Cette absence d'intérêt pour le Nord, sauf quand il est question d'énergie, est déplorable, car comment revendiquer un espace que l'on n'habite pas?

 

Une prise de possession tardive

Louis-Edmond Hamelin est l'un des seuls Québécois à avoir mené successivement des carrières de coureur des bois et d'universitaire. Si on le présente surtout comme le fondateur du Centre d'étude nordique et l'ancien recteur de l'Université du Québec à Trois-Rivières, il est en réalité très polyvalent. Il a étudié l'histoire et les sciences sociales, puis obtenu des diplômes de maîtrise en linguistique, économie et géomorphologie. Il a même un doctorat ès lettres, obtenu à Paris.

Si certains principes de territorialité sont parfaitement légitimes pour les administrateurs de la colline parlementaire, l'ensemble du tableau n'est pas moins désolant à ses yeux, car il y a des différences fondamentales entre les deux cultures qui s'affrontent. D'une part, un peuple "holiste" pour qui la terre n'appartient à personne puisqu'elle fait partie de soi et, de l'autre, une culture qui base toute son économie sur la propriété privée. "Le comportement réservé et honnête des autochtones ne leur a pas été favorable. Les Blancs se sont donc servis."

Un partenariat entre les Québécois du sud et les autochtones du nord est essentiel pour la suite de l'histoire, estime M. Hamelin. "Nous devons envisager un grand voyage de fraternité."

Mathieu-Robert Sauvé


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