Les étudiants de McGill sont les mieux nantis du Québec |
Les caractéristiques des clientèles varient beaucoup d'une université à l'autre. |
Arnaud Sales |
Dans la population universitaire québécoise, les étudiants de l'Université McGill ont le revenu brut le plus élevé (11 844$ en moyenne par année) et ce sont eux qui reçoivent une aide parentale le plus souvent; ils recourent par conséquent plus rarement à l'aide financière. C'est aussi là que l'on trouve les plus jeunes étudiants de la province, car plus de 85% ont moins de 24 ans. La moyenne d'âge y est de 21,8 ans au premier cycle à temps plein, plus d'un an inférieure à celle du Québec (23,1 ans).
"Les étudiants de l'Université McGill sont également ceux qui ont les parcours scolaires les plus linéaires: 47 % poursuivent leurs études sans interruption, relate le sociologue Arnaud Sales. C'est deux fois plus qu'à l'UQAM, qui compte 23% de ces étudiants persévérants, et beaucoup plus qu'à l'Université de Montréal: 31%."
Auteur d'une étude sur les différences entre les universités québécoises pour ce qui est des revenus, de l'origine socioéconomique, de la langue, de l'âge des étudiants, etc., M. Sales a présenté à Forum son analyse de la situation. "Je crois que nous, professeurs, connaissons mal les étudiants que nous côtoyons quotidiennement. Ils forment un monde hétérogène qui a suivi l'évolution de l'université. Il y a actuellement 130 champs de spécialisation universitaires, mais on observe très peu d'interactions entre eux. Cette segmentation conduit à une plus grande prévalence des projets individuels. Cela de même que le vieillissement et d'autres facteurs peuvent expliquer la faiblesse du mouvement étudiant."
La différenciation de la population étudiante universitaire au Québec, qui sera déposé au ministère de l'Éducation à la fin du mois, constitue ainsi un portrait du monde étudiant à partir des données obtenues en 1994 auprès de 2400 étudiants de tous les coins du Québec et qui a déjà donné lieu au rapport Le monde étudiant à la fin du XXe siècle en 1995. M. Sales n'a pas travaillé seul: il dirigeait une équipe composée des chercheurs Louis Maheu (U de M) et Gilles Simard (UQAM), des étudiants Isabelle Bonneau et Frédéric Kuzminski et du coordonnateur-agent de recherche Réjean Drolet.
Ce rapport avait eu un certain retentissement étant donné que la précédente radioscopie du monde étudiant datait de 1978. Traçant le portrait type de l'étudiant (ou plutôt de l'étudiante) contemporain, l'étude révélait notamment que les parents paient moins souvent leur juste part qu'on ne le croit. Elle révélait aussi que les jeunes hommes francophones sont en train de manquer le bateau: la féminisation de la population étudiante se poursuit.
Restait à explorer les différences entre les universités en tenant compte de l'important critère régional. C'est le sujet du premier chapitre du présent rapport. Le problème de la persévérance aux études, par exemple, semble être un phénomène urbain. À l'Université de Sherbrooke, 65% des étudiants terminent leurs études dans leur programme initial tandis que, dans les centres urbains, le phénomène donne des maux de tête aux autorités universitaires.
Mais l'étudiant ne fait pas que choisir son université, il l'incarne. Comme l'expliquent en introduction les auteurs, "les universités ont une identité et une mission propres, un corps professoral, une organisation et une culture académique et administrative spécifiques, des éventails de programmes, des activités de recherche, des moyens plus ou moins importants, une taille, une localisation, une organisation spatiale du campus et un environnement souvent fort différents avec leurs conséquences sur la formation des étudiants, mais aussi sur la vie intellectuelle et le sentiment d'appartenance." Aussi est-il intéressant de voir comment se distinguent les étudiants des différents établissements.
Et l'Université de Montréal là-dedans? "Elle est souvent dans la zone médiane, explique M. Sales. La proportion d'enfants de professionnels, par exemple, est de 50% à McGill, de 27% dans le réseau de l'Université du Québec, mais de 36,6% à l'UdeM. Autre exemple: 66,5 % des parents d'étudiants à McGill sont passés par l'université, contre seulement 25,4 % dans le réseau de l'Université du Québec. À l'UdeM, cette proportion est de 43,8%."
Une donnée importante, à laquelle aucune université n'échappe, est la place occupée par l'emploi salarié chez les étudiants. Près du tiers des étudiants de premier cycle comptent sur leur emploi d'été pour financer leurs études, mais 14% comptent sur l'emploi durant le trimestre. Cela provoque un vieillissement de la population universitaire (26,2 ans pour l'ensemble des cycles) et des choix difficiles entre endettement ou abandon des études.
"Un bon nombre d'étudiants choisissent la suspension des études entre le baccalauréat et la maîtrise, relate Arnaud Sales. En faisant cela, on rogne la vie professionnelle aux deux bouts, car il y a perte de revenus d'un travail éventuel, endettement et non-accumulation d'un fonds de retraite. Cela entraîne beaucoup de conséquences."
La base de données du rapport Le monde étudiant à la fin du XXe siècle a donné lieu à des analyses partielles telles que "Portrait et conditions de vie des étudiants de l'Université de Montréal", publié par la FAECUM en juin 1996. On y trouvait une pléthore de détails sur la communauté étudiante. Mais en présentant un portrait moins rose que celui qu'on croit, cela servait aussi les intérêts du mouvement étudiant. Le sociologue craint-il que les données qu'il a mises au jour servent à des fins militantes? "Elles peuvent servir aux deux camps", répond-il.
Lui-même a cependant son point de vue sur l'idée que caresse le gouvernement de hausser les droits de scolarité. "Tant qu'on n'aura pas baissé les taxes et les impôts, il m'apparaît injustifié de hausser les droits de scolarité. Comme ce sont souvent les parents qui paient pour leurs enfants à l'université, le gouvernement ne ferait que déverser ses responsabilités dans la cour du voisin."
Mathieu-Robert Sauvé
Le rapport La différenciation de la population étudiante universitaire au Québec présente, au chapitre 3, une typologie des étudiants établie par Gilles Simard, de l'UQAM. Il y aurait neuf types de cette bête étrange fréquentant les établissements québécois.
1. Studieux non salarié: il investit plus de 65% de son temps dans les études. Les contraintes de temps ou les loisirs n'occupent que 20% de sa vie.
2. Studieux modéré: il investit 50% de son temps dans les études, mais il garde le tiers de son temps pour ses loisirs. S'il doit travailler, il coupera dans ses loisirs.
3. Studieux salarié: il consacre au moins 10% de son temps au travail salarié mais jamais plus de 33%. Il se consacre à ses études, mais il est disposé à s'en tenir au minimum.
4. Adulte retour: c'est l'adulte qui revient aux études. En moyenne plus âgé, il consacre le quart de son temps à sa famille. Mais il est prêt à investir 50% de ses énergies dans ses études. Parfois, il occupe un emploi, mais il ne consacre jamais plus de 33% de son temps à son travail.
5. Conciliateur non salarié: son principal objectif est de se ménager des heures de loisir (de 25% à 50% de son temps). Il n'investit jamais plus de 50% de son temps dans ses études.
6. Conciliateur salarié: il a un agenda chargé, car il doit concilier travail (au moins 20% de son temps), études (de 20% à 50%) et loisirs (au moins 10%). En cas de conflit d'horaire, il favorisera son travail.
7. Adulte nourricier: il investit moins de 50% de son temps dans les études et répartit ses heures entre sa famille (15%) et son travail (15%), car il a la responsabilité matérielle du ménage.
8. Indécis: il n'en est pas à son premier programme d'études et n'en a terminé aucun. D'ailleurs, il consacre moins de 50% de son temps à ses études. Peut-être changera-t-il de "branche" au prochain trimestre...
9. Épicurien: comme c'est agréable d'être étudiant! Le type épicurien renvoie à un mode de vie caractérisé par peu d'obligations et de responsabilités familiales ou financières, beaucoup de temps pour les loisirs et peu pour les études.
Le type prédominant dans nos établissements serait le type studieux modéré, mais chez les femmes, ce serait le type studieux salarié qui serait le plus courant. "Lorsque la typologie est mise en rapport avec le secteur disciplinaire, note l'auteur, une dichotomie importante entre les types étudiants se manifeste. En effet, les trois types studieux sont concentrés dans les disciplines dites "lourdes" comme les sciences pures, les sciences de la santé et les sciences appliquées, délaissant presque tous les autres champs disciplinaires."
C'est à l'Université McGill qu'on trouve le plus d'"épicuriens" et de "conciliateurs non salariés", deux types qui consacrent une bonne part de leur temps aux loisirs. Ces types comptent pour plus du tiers de la population étudiante dans l'établissement de la rue Sherbrooke, contre seulement 1 sur 10 à l'Université de Montréal ou à l'UQAM. Cela s'explique par le fait que la population étudiante provient d'un milieu généralement plus favorisé et est beaucoup moins endettée que la moyenne.
M.-R.S.