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La technologie: rassurante mais coûteuse...

Cinq conférenciers dénoncent les faux pas du virage ambulatoire.

De gauche à droite, Jacques Baillargeon, Paule Savignac, Jacqueline Fortin, l'anthropologue Sylvie Gravel et Louise Bouchard.

On ne dit plus "prendre soin" des malades, on dit "faire des soins". Pour les infirmières, ce glissement étymologique témoigne bien des difficultés du virage ambulatoire. "Il y a péril en la demeure si le soin n'est que technique ou utilitaire", estime Paule Savignac, responsable du Certificat de maintien à domicile à la Faculté de l'éducation permanente.

Mme Savignac s'exprimait ainsi au cours d'une journée de réflexion organisée par l'Association des étudiants en bioéthique le 3 octobre dernier sur le thème des transformations du monde de la santé et les défis éthiques. "Réorganisation, virage, principe d'accessibilité, collaboration, partenariat, déontologie... Au-delà des mots, où sont les engagements éthiques?" a demandé l'infirmière.

Pour les cinq conférenciers, la réforme actuelle masque un malaise dans les systèmes de soins. Comme la médecine moderne s'attaque surtout à la maladie et s'intéresse très peu à la santé, elle provoque des inéquités, car cette médecine coûte cher. "Depuis les années 1930, il y a eu un essor sans précédent des technologies, a rappelé la sociologue Louise Bouchard, du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention. Et jusqu'à la moitié du siècle, toute nouvelle technologie était considérée comme souhaitable. Cette croyance a été tempérée par les effets indésirables des technosciences."

La mise au point de quelque 20,000 médicaments, le développement des connaissances en génétique humaine et la difficulté croissante d'effectuer des choix en ce qui concerne l'allocation des ressources ont contribué à remettre en question la notion de progrès en médecine.

"Les technologies médicales sont ainsi entrées, et probablement pour toujours, dans l'ère du soupçon, écrivaient Marc Renaud et Louise Bouchard dans Interface en 1994. Le soupçon qu'elles ne soient parfois pas conformes aux valeurs et à la vision du monde de la majorité de la population; et le soupçon qu'elles "volent" des ressources rares à des secteurs qui sont bien plus importants que les soins de santé pour le bien-être de la population."

 

Un nouveau paternalisme?

Le Dr Jaques Baillargeon, du pavillon Notre-Dame du CHUM, a surpris l'auditoire en déclarant que l'attitude paternaliste chez les praticiens avait peut-être du bon. "J'ai connu ce type de médecine dans ma jeunesse, a-t-il dit. Quoi qu'on en dise, des liens de responsabilité unissaient le malade et son patient. D'ailleurs, on disait "mon malade" et "mon médecin". Celui-ci était disponible jour et nuit; il connaissait bien les autres membres de la famille, effectuait un suivi à domicile, etc. C'était une médecine peu technicisée qui s'appuyait sur un contrat tacite de longue durée."

Aujourd'hui, le temps est une denrée rare, mais c'est surtout la technologie qui chambarde les rapports entre médecin et patient. "Nous sommes menacés par un nouveau paternalisme, dit le Dr Baillargeon. Le médecin ne croit plus à sa compétence. Le patient lui-même exige un scanner, une radio..."

Cela ouvre la porte à des situations aberrantes. Une étude a montré récemment que 50% des examens aux rayons X au pays étaient inutiles. Ces radiographies ne sont effectuées que pour rassurer le patient et le médecin. "C'est tellement plus facile d'utiliser la technologie. Faire une radio, c'est simple, c'est court, c'est concret. Ce n'est pas comme essayer de saisir les sources du problème au cours d'un entretien. Et puis, c'est plus rentable, car les médecins sont payés à l'acte."

Quand la technologie ne trouve pas de maladie, que fait-on de la douleur du patient? "La vraie science, dit le Dr Baillargeon, consisterait peut-être à savoir se passer de technologies."

 

Le coût

Le principal problème de la technologie, c'est son coût grandissant. De l'avis général, c'est l'allocation des ressources qui posera le plus grave dilemme aux administrateurs du système de santé.

Aujourd'hui, il faut parfois choisir entre une technologie lourde et coûteuse et des programmes de soins qui grignotent une moindre part du budget mais qui touchent plus de gens. Il existe des comités d'éthique dans les hôpitaux qui peuvent conseiller les administrateurs sur ces questions.

Jacqueline Fortin, infirmière et éthicienne au CHUM, a énuméré les enjeux des comités de bioéthique des hôpitaux. "On fait jouer de nouveaux rôles à ces comités: la conciliation, la médiation par exemple. Les membres ont-ils la compétence pour le faire? Pas sûr."

Ces comités d'éthique "poussent comme des champignons" et n'ont pas de statut clair. En tout cas, leur composition est laissée à l'arbitraire de chaque établissement, ce qui ne les garde pas à l'abri des situations de conflit d'intérêts.

Mathieu-Robert Sauvé


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